La semaine dernière, par un beau dimanche du milieu des vacances de la construction, j'ai décidé comme ça, sur un coup de tête, d'aller visiter ma copine Michèle et son mari à Sherbrooke. Comme à chaque fois que je saute dans la bagnole, j'y ai syntonisé la station de nouvelles et de circulation. La circulation était lourde. La radio annonçait à grand cris le nombre de morts sur les routes du Québec depuis le début des vacances, l'annonce de surveillance policière accrue ainsi que l'annonce de voeux pieux de la part de nos services de police relatif à la réduction des accidents. Allez savoir pourquoi, certain vacanciers, ou certains conducteurs qui reviennent à la maison le vendredi soir, semblent parfois perdre au moins mille piasses la minute dans leur «char», à voir l'impatience dont ils font preuve sur la route. La façon la plus sécuritaire, à mon humble avis, de minimiser le risque est le laisser les conducteurs agir en fonction de leurs aptitudes à conduire, réflexes et tout, de laisser tous et chacun libre adopter une attitude de conduite défensive et préventive. Mais non, l'État, le détenteur du monopole d'initiation de la violence, a décidé d'initier encore plus de violence, soi-disant afin de nous sauver de nous-mêmes. La route de Montréal à Sherbrooke a été, le moins qu'on puisse dire, «intéressante».
Normalement, la voie de gauche est utilisée pour les dépassements et les véhicules lents circulent à droite. Les véhicules en dépassement le font promptement en augmentant leur vitesse afin de pouvoir se dégager des lambins en toute sécurité, et revenir dans la voie de droite en gardant une séparation sécuritaire entre véhicules. Mais par ce beau dimanche ensoleillé de route parsemée d'officiers-qui-ne-font-qu'obéir-aux-ordres, ça ne circulait pas normalement. C'était la folie dangereuse, laissez moi vous expliquer... Les lambins, en proie à des crises d'anxiété induites pas le risque de se faire coller une contravention, roulaient non pas à l'habituel 100km/h-110km/h mais plutôt à 85km/h-95km/h. Les moins lambins essayaient tant bien que mal de rouler à 105km/h-115km/h, en supposant témérairement que 115km/h était la limite de tolérance policière. Le fait que presque personne ne risquait aucune pointe de vitesse au dessus de 117km/h rendait impossible les dépassements sécuritaires et créait des pelotons de circulation très denses. Au sein des pelotons, les voitures faisaient du saute-mouton autour des voitures lentes dans l'espoir de s'en échapper, mais tout en revenant autant que possible dans la voie de droite pour éviter le radar. Les pelotons étaient très denses, ressemblant même à des convois, circulant à 95km/h-105km/h sur les deux voies, sans intercalation sécuritaire entre les véhicules, avec en moyenne bien moins d'une seule seconde de décalage entre chaque véhicule.
Ces conditions sont des plus dangereuses qui soient, puisque tout incident nécessite une réaction à la limite des temps de réaction sécuritaires. La moindre inattention d'un seul conducteur du convoi peut mener à un carambolage massif à haute vitesse. Garder ses distances est la mesure de sécurité numéro un sur la route, et j'applique la règle avec tout le zèle possible. Mais par ce beau dimanche de soleil et de présence policière, il était impossible de maintenir une séparation sécuritaire; quiconque ralentissait se faisais couper très serré à qui mieux, mieux. Entre Montréal et Orford, soit sur environ cent kilomètres, j'ai vu quatre policiers distribuant des contraventions. Ne pouvant me permettre de quitter la route des yeux, j'en ai probablement manqué plusieurs de peu visibles, motards ou bien ceux bien planqués dans les fourrés. Aux abords des voitures de police, la vitesse diminuait aussi bas que 85 km/h et évidemment la compression conséquente du convoi rendait la situation intenable, avec des distances de séparations frisant la demi-seconde. Eh oui!, j'ai mentalement compté et mesuré ces intervalles sur tout le trajet; c'est une habitude que j'ai développé il y a des années suite à un avoir oeuvré dans le domaine du design de freins.
Je ne suis qu'un dilettante en matière de sécurité routière, mais il m'a alors semblé que la présence policière était le facteur #1 d'augmentation du risque sur la route cette journée-là; que nous aurions été bien moins en danger s'ils n'avaient pas été là à faire peur aux automobilistes. Des études sérieuses, objectives et vérifiées par des simulations sophistiquées menées au Québec ont démontré que les conducteurs s'acharnant à conduire lentement, couplé à l'impatience de certains autres, étaient un facteur important significatif d'augmentation du risque d'accident. D'autres études, toutes aussi sérieuses menées de par le monde, démontrent que d'éliminer les limites de vitesses sur certains types de routes cause des accidents plus graves lorsqu'ils surviennent, mais qu'hors tout, on observe une diminution nette des accidents graves et moins graves. Il semble que les conducteurs soient plus libres d'adopter les tactiques de conduite avec lesquelles ils sont confortables, respectant leurs propres limites dans le contexte réel de la route – i.e., tenant compte de la présence des autres véhicules. L'application stricte des limites de vitesse sur les autoroutes cause-t-elle des accidents? Je me pose très sérieusement la question.
Jean-François Avon
Montréal