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par Damien Theillier
On a beaucoup parlé d'antisémitisme en France ces temps-ci à propos de l'affaire Dieudonné. Au-delà de la question de savoir s'il s'agit d'une provocation ou d'un phénomène inquiétant, il est intéressant de comprendre la mécanique intellectuelle qui a engendré l'antisémitisme dans l'Allemagne nazie au XXe siècle. Pour Ludwig von Mises, l'antisémitisme est une variante de ce qu'il appelle le polylogisme, un sophisme inventé par Marx un siècle auparavant.
Jusqu'au milieu du XIXe siècle, personne n'osait contester le fait que la structure logique de l'esprit était identique et commune à tous les êtres humains. Toutes les relations humaines sont fondées sur l'hypothèse d'une structure logique uniforme. Les hommes peuvent entrer en discussion parce qu'ils peuvent faire appel à quelque chose de commun à tous, à savoir la structure logique de la raison. Il est difficile d'imaginer un monde peuplé d'hommes dotés d'une structure logique différente de la nôtre. Aucune coopération sociale et intellectuelle avec ces hommes ne serait possible. Or, selon Mises,
Au cours du XIXe siècle, ce fait indéniable a pourtant été contesté. Marx et les marxistes (...) ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement déductif; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les mérites des théories physiques; ils dévoilent simplement l'origine bourgeoise des physiciens(1).
Le polylogisme s'oppose à l'universalisme, c'est-à-dire à l'idée qu'il existe des vérités universelles que la raison peut reconnaître. Mises explique comment le marxisme et le nazisme procèdent de ce genre d'idées: il n'y aurait pas une structure logique identique pour tout individu, mais une structure logique de l'esprit différente selon l'appartenance à des catégories déterminées, selon les classes, les races ou les sexes (ou les nations). Ainsi, pour le marxisme, il y aurait une logique prolétarienne et une logique bourgeoise. Pour le nazisme, il y aurait une logique aryenne et une logique juive. Pour certaines féministes, il y aurait une logique masculine et une logique féminine.
Aux yeux des marxistes, Ricardo, Freud, Bergson et Einstein sont dans le faux parce qu'ils sont bourgeois; aux yeux des nazis, ils sont dans le faux parce qu'ils sont juifs. Ainsi, les nazis se sont composés un polylogisme à eux, affirmant que la structure logique de l'esprit serait différente suivant les nations et les races. Chaque race ou nation aurait sa propre logique et donc une économie, des mathématiques, une physique et ainsi de suite qui lui sont propres. La seule logique et la seule science exactes, correctes et éternelles seraient celles des Aryens. C'est pourquoi un des premiers buts des nazis fut de libérer l'âme aryenne de la pollution des philosophies occidentales de Descartes, Hume et John Stuart Mill.
Mises a également montré que le principal obstacle à surmonter pour Marx fut la critique dévastatrice des économistes.
Les marxistes ont eu recours au polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées.
Le succès de ce stratagème marxiste fut sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par la supercherie logique du polylogisme que l'étatisme a pu s'implanter dans les esprits modernes.
Mais le polylogisme est absurde car il est logiquement contradictoire. Il ne peut être porté jusqu'à ses conséquences logiques ultimes. Aucun marxiste n'a eu assez d'audace pour tirer toutes les conclusions qu'exigerait son propre point de vue épistémologique. Le principe du polylogisme conduirait à la déduction que les enseignements marxistes également ne sont pas objectivement vrais, qu'ils ne sont que des affirmations idéologiques; mais les marxistes le dénient. Ils revendiquent pour leurs doctrines le caractère de vérité absolue.
D'où la conclusion de von Mises:
Le polylogisme n'est pas une philosophie ni une théorie épistémologique. C'est une attitude de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. Le polylogisme n'est pas non plus scientifique. C'est plutôt le remplacement du raisonnement et de la science par des superstitions. C'est la mentalité caractéristique d'un âge de chaos.
Note
1. Ludwig von Mises, Le Gouvernement omnipotent. De l'État totalitaire à la guerre mondiale. Éditions politiques, économiques et sociales — Librairie de Médicis — Paris (1947). Traduit par M. de Hulster. Troisième partie — Le nazisme allemand, VI. Les caractéristiques particulières du nationalisme allemand, 6. Polylogisme.
*Texte d'opinion publié le 17 mars 2014 sur 24hGold.
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par Gabriel Lacoste
Si le Québec était un individu, la période précédant 1960 correspondrait à son enfance. Depuis ce temps-là, il en est à l'adolescence. Ce qui s'en vient, c'est l'âge adulte.
Les clichés traditionnels sur le peuple canadien-français d'antan correspondent bien à l'enfance. Ce peuple était censé se voir comme « petit » et obéissant aux « grands » que représentaient la chrétienté sous l'égide du pape, Sa Majesté la reine et l'industrie américaine sous la supervision de Dieu le Père. Il était composé de travailleurs soumis à leur patron et de femmes, un peu nunuches, aux ordres de leurs maris. Pendant que les Anglais avaient leurs représentants dans la grande table des adultes que constitue le monde, nous devions manger à part avec de vulgaires provinces canadiennes.
Étant d'un naturel sceptique, je soupçonne que ces représentations ont été construites après coup pour justifier des causes politiques. Dénigrer nos ancêtres est un vieux truc que les amis du présent pouvoir emploient pour légitimer l'emprise qu'ils ont sur les postes de police, les tribunaux, les écoles, les garderies, les hôpitaux, la charité, les routes et notre portefeuille. Cependant, faisons comme si les choses s'étaient passées ainsi et poursuivons. Si les Canadiens français étaient des enfants, les nationalistes et étatistes québécois depuis la Révolution tranquille sont des adolescents. La comparaison vous apparaîtra peut-être insultante, mais elle est aussi porteuse d'espoir, car elle signifie que nous pouvons tendre vers mieux.
Un adolescent se rebelle contre les grands en se racontant une fable dont il est le super-héros. Une fable, c'est un récit où les événements et les personnages prennent des dimensions grandioses. Refaire le monde, vaincre la pauvreté, combattre les injustices, créer un pays, garantir à tous la santé, bâtir une gigantesque entreprise énergétique, sauver la planète d'un holocauste climatique et dompter sa soif de consommation pour préserver le sous-sol d'un épuisement total sont de nobles causes dignes de n'importe quel esprit tapageur âgé de 15 ou 16 ans qui rêve de devenir un héros. Les proportions lui donnent un sentiment de puissance. L'industrie du conte, qui prend le nom prestigieux de médias, peut faire la piastre en le titillant un max à coup de grands titres menaçants et de potins jet set sur les sauveurs qui s'y attaquent. Tout un chacun choisit ses idoles, puis fantasme de faire comme lui.
Tout seul, ce n'est pas vraisemblable d'être aussi héroïque. Pour parvenir à se la raconter, il nous faut un concept et un instrument assez forts. L'État-nation est l'outil parfait. Comme au Centre Bell, en regardant le club de hockey des Canadiens de Montréal, la nation permet à l'individu de se projeter dans une entité plus grande en ayant l'illusion de lui donner vie. C'est magique. Si la nation, en plus, a le monopole de la police, des tanks, des tribunaux, de la taxation, des écoles et d'un vaste territoire « collectif », elle peut alors commander ce qu'elle veut, faire fi des obstacles et arrêter les méchants à souhait. Le Canadien français en phase rebelle contre les parents oppresseurs a donc trouvé un super-héros à sa mesure pour jouer dans la cour des grands. C'est ainsi qu'est né le peuple et l'État-providence québécois.
Les moulins à vent démocratiques
Cervantès a écrit, au début du 17e siècle, un roman dont le héros est Don Quichotte. Ce dernier avait passé trop de temps à lire des histoires de chevaliers et s'était mis en tête de défendre la veuve et l'orphelin. En réalité, il faisait un fou de lui en combattant des moulins à vent. La période adolescente du Québec, qui va de 1960 à aujourd'hui, me fait penser à cette histoire.
Le Québec ne sera pas de sitôt un pays. La peur climatique est une exagération éhontée nourrie par des groupes de chercheurs en quête de financement et de journaux qui vendent des sensations fortes. Les jeunes qui manifestent pour des droits de scolarité ne sont pas en train de donner leur temps ou leur argent à des vraies causes charitables. Ils cherchent à se faire payer leurs études avant d'entrer dans la classe moyenne ou à perdre à rabais des années de leur vie dans l'obtention de diplômes louches qui n'améliorent pas leur sort, mais celui de leurs profs. Les programmes sociaux aident beaucoup plus les employés qui les gèrent que les usagers eux-mêmes. La guerre à la pauvreté ressemble à celle des tranchés de 1914-1918: l'ennemi ne recule pas d'un pouce.
L'éducation publique est une farce. Elle produit souvent des bouts de papiers déconnectés du marché du travail et de la vraie vie, puis consiste à nous bourrer le crâne de représentations et de valeurs citoyennes qui se confondent curieusement avec une sorte de propagande nous exhortant d'appuyer religieusement l'État-providence et son rituel démocratique. Les universités ressemblent à un racket de charlatans. Les policiers perdent leur temps à chasser les automobilistes ou à emprisonner les drogués et les putes sans jamais nous offrir de résultat concret. Les juges ont l'air de protéger davantage les criminels que les innocents. Les hôpitaux masquent la pénurie de services par des listes d'attentes. Les routes s'effondrent. Etc.
Qui profite du gouvernement? Ceux qui y travaillent ou qui font partie de ses protégés. Ce ne sont pourtant pas des impotents et ils seraient capables de se débrouiller tout seul. Pour le reste des gens, les comptes de taxes, l'inflation et les tarifs de toutes sortes grimpent sans arrêt. Une dette publique pompe des investissements qui seraient plus utiles ailleurs et hypothèquent l'avenir de nos enfants. Serions-nous capables d'obtenir mieux avec cet argent sur des marchés où les entrepreneurs seraient libres d'entrer en compétition pour nous faire la meilleure offre? Vraisemblablement.
Il y a un décalage majeur entre la réalité du Québec et les représentations ambiantes que nos experts conteurs diffusent dans les médias et les salles de classe. Cela a un nom : l'idéologie. Comme Don Quichotte, nous croyons avoir mis sur pieds des institutions qui sauvent la veuve et l'orphelin, mais nous n'aboutissons qu'à dilapider l'héritage de nos grands-parents comme des adolescents irresponsables.
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par Damien Theillier
Dans un article intitulé « The Political Principle of Liberty », Alexander McCobin, président-fondateur de l'organisation Students for Liberty, aborde la question de la nature du libertarianisme. Ce dernier terme est le nom contemporain qui désigne aux États-Unis le libéralisme classique. Nous avons choisi ici de conserver ce néologisme pour en préciser les contours. Je vais donc résumer cet article fort intéressant mais pas encore traduit pour le lecteur français.
Le libertarianisme, nous dit McCobin, n'est pas une philosophie globale qui aurait réponse à tout, qui nous donnerait le sens de l'existence, de la vérité, de l'art et de l'amour. C'est une philosophie sociale et politique qui cherche à expliquer comment les gens devraient se comporter les uns vis-à-vis des autres. C'est une philosophie politique et juridique, non une philosophie éthique. L'éthique nous dit comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique nous dit comment être justes à l'égard des autres. Elle se préoccupe donc des lois, de leur objet, de leur nature et de leurs limites.
Ainsi, on peut condamner quelqu'un pour sa conduite scandaleuse, immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les droits d'autrui.
La liberté est donc un principe qui rend possible la coexistence de nombreuses philosophies de la vie et de l'éthique, dans un cadre d'interactions sociales volontaires ou personne ne vole personne. Les individus peuvent adopter libertarianisme en raison de philosophies de la vie ou de valeurs tout à fait divergentes: l'épanouissement humain, l'autonomie, la raison, le bonheur, les préceptes religieux, la sympathie ou l'équité.
Tout comme il peut y avoir plusieurs types de justifications d'un principe, il peut y avoir également des variations entre les libertariens sur les politiques à mener, c'est-à-dire sur la manière d'appliquer le principe de la liberté.
Il y a ainsi des débats ouverts entre libertariens sur de nombreux sujets:
Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de politiques libertariennes: les lois contre l'assassinat, le viol et l'esclavage sont fondamentales à tout système juridique civilisé. Elles devraient même s'appliquer à tous les gouvernements. Néanmoins, il n'est pas toujours évident de savoir quelles politiques spécifiques sont nécessaires pour faire respecter ces lois générales. Là encore, des gens raisonnables peuvent être en désaccord. Par exemple, la façon dont un gouvernement doit garantir la sécurité contre le terrorisme fait l'objet de débats.
Conclusion
Les libertariens sont des gens issus de toutes les confessions religieuses ou philosophiques, partisans d'une grande variété de modes de vie, d'origines ethniques et de groupes linguistiques divers. Le libertarianisme ne nécessite pas l'unanimité sur tout. La raison pour laquelle une personne défend le principe de la liberté égale pour tous peut varier. Un libertarien peut également être en désaccord avec un autre sur les prescriptions politiques les plus appropriées pour faire appliquer ce principe dans le monde. Mais tous souscrivent au principe commun de la liberté égale pour tous. Tous sont unis pour combattre les lois sur les crimes sans victime, s'opposer à la tyrannie, défendre la liberté du commerce et de l'entreprise, s'opposer à la violence agressive.
* * *
Le livre duquel est extrait cet article d'Alexander McCobin, Why liberty, est une introduction générale et multidisciplinaire à la puissance transformatrice de la liberté pour l'individu comme pour la société. Il traite de la liberté non seulement d'un point de vue politique, mais aussi au travers du prisme de la culture, de l'entrepreneuriat, de la santé, de l'art, de la technologie et de la philosophie. Il est édité par Tom Palmer et est publié par Students for Liberty et Atlas Network.
Table des matières du livre
1. Why be libertarian?, by Tom Palmer
2. There Ought NOT to Be a Law, by John Stossel
3. Libertarianism as Radical Centrism, by Clark Ruper
4. The History and Structure of Libertarian Thought, by Tom Palmer
5. “The Times, They Are A-Changin”: Libertarianism as Abolitionism, by James Padilioni, Jr.
6. The Political Principle of Liberty, by Alexander McCobin
7. No Liberty, No Art: No Art, No Liberty, by Sarah Skwire
8. The Humble Case for Liberty, by Aaron Ross Powell
9. Africa's Promise of Liberty, by Olumayowa Okediran
10. The Tangled Dynamics of State Interventionism: The Case of Health Care, by Sloane Frost
11. How Do You Know? Knowledge and the Presumption of Liberty, by Lode Cossaer and Maarten Wegge
12. The Origins of State and Government, by Tom Palmer
Télécharger le livre (en anglais) | Voir un entretien avec Alexander McCobin (en anglais)
*Texte d'opinion publié le 24 février 2014 sur 24hGold.
par Jean-Pierre Castel**
« Peu de faits historiques sont aussi difficilement contestables que celui de la connexion entre la science et la technique modernes et la religion, voire la théologie chrétiennes. » ‒Alexandre Kojève
Nombre d'auteurs(1) affirment que la science moderne ‒ voire plus généralement la rationalité moderne ‒ ne pouvait apparaître que dans un contexte chrétien ou au moins monothéiste, la poussée scientifique grecque ayant d'après eux abouti à une impasse, dont seule la chrétienté aurait su la sortir, grâce à ses valeurs propres.
Il est de fait que la science grecque avait poussé ses derniers feux à la fin de la période hellénistique, en particulier à Alexandrie avec Ptolémée (90-168), Diophante (200/214-284/298), Hypatie (370-415). Son grand réveil attendra la Renaissance. Rome avait manifesté peu d'intérêt pour la science, et l'Église plus de méfiance que d'enthousiasme car « la connaissance enfle, mais l'amour vivifie » (Cor. 8, 1).
L'intérêt pour la philosophie était resté plus soutenu, à Rome d'abord à travers les stoïciens (Sénèque, Épictète, Marc-Aurèle), puis avec les Pères de l'Église à l'occasion du développement de la théologie chrétienne. Lors de la christianisation forcée de l'Europe aux Vème et VIème siècles, les évêques fermèrent les écoles grecques, mais la recherche philosophique reprit avec vigueur avec la Renaissance du Moyen Âge(2). La science en revanche resta bloquée, du fait tant de l'hostilité des gardiens du dogme catholique que du manque de moyens de mesure du temps et de l'absence d'outils mathématiques de calcul infinitésimal, indispensables pour aborder l'étude du mouvement.
Au XVIème siècle, le progrès technique avait mis à disposition des savants de nouveaux moyens d'observation et les mathématiciens s'étaient attaqués au problème de l'infini, réservé jusque-là par l'Église à Dieu. Enclenchée par l'afflux en Italie de bibliothèques de textes originaux de l'Antiquité provoqué par l'arrivée des Turcs à Constantinople, la Renaissance redécouvrit le pluralisme des conceptions du monde de l'Antiquité, comme le platonisme, l'atomisme, l'héliocentrisme. Copernic (1473-1553), Kepler (1571-1630) et Galilée (1564-1642) s'autorisèrent, à leurs risques et périls, à remettre en cause le système aristo-thomiste, devenu depuis la fin du Moyen Âge la clef de voûte de tout l'édifice chrétien.
Attribuer l'émergence de la science moderne au monothéisme, comme le font nos bons auteurs, résulte d'abord d'une confusion entre les « conditions » de son émergence dans l'Europe chrétienne, contingentes, et ses « causes », nécessaires. La science moderne descend de la science grecque, la principale contribution du christianisme ayant été, en tant que syncrétisme judéo-grec, de ne pas avoir entièrement détruit l'héritage grec(3), d'avoir emprunté à la tradition philosophique grecque pour élaborer sa théologie, d'avoir repris en charge l'éducation après la chute de l'Empire romain, d'avoir au Moyen Âge permis la création des Universités et autorisé un certain développement de la science, « pour la gloire de dieu »(4) et dans de strictes limites. Mais le christianisme s'est opposé au moteur de la science, la curiosité, cette libido sciendi comme Saint Augustin désignait cette vanité de l'homme à prétendre appréhender la vérité par sa seule raison, héritée des Anciens.
Trouver des valeurs spécifiques à la tradition monothéiste qui aient pu contribuer à la démarche scientifique relève de la gageure et de l'apologie. Si des hommes ‒ formés par l'Église car elle détenait le monopole de l'éducation ‒ se sont tournés vers la science, c'est plus en étudiant Pythagore, Platon et Aristote que Moïse, Jésus ou Paul. Que la plupart des hommes de science jusqu'au XVIIIème siècle aient été pieux n'implique pas qu'il fallait être pieux pour être scientifique. Que la recherche scientifique puisse être considérée comme une forme de spiritualité n'implique pas que celle-ci soit nécessairement chrétienne ‒ Einstein, proche de Spinoza mais non de Moïse, constitue un bon exemple à cet égard. Si la notion d'infini peut être rapprochée de celle du divin, les travaux des Grecs sur la question montrent qu'elle n'avait aucun besoin du dieu d'Abraham.
La science moderne: expérimentale et mathématique
La science de Galilée, Newton et Descartes est certes « nouvelle » par rapport à celle d'Archimède: plus expérimentale, plus mathématique. Mais on ne peut guère imaginer Copernic sans Aristarque de Samos, Newton sans Archimède, Galilée, Kepler et Newton sans Thalès, Euclide et Ptolémée, ni d'ailleurs, plus près de nous, Einstein sans Newton. À l'origine de cette lignée se situe la naissance, dans la Grèce polythéiste, de la démarche rationnelle, tant scientifique que philosophique de Thalès, de Pythagore, de Socrate et d'Aristote ‒ sans apport d'un quelconque monothéisme.
Comme le dit Bernard de Chartres (vers 1130-1160): « Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons plus de choses et de plus éloignées que n'en voyaient les anciens, non par la pénétration de notre propre vue ou par l'élévation de notre taille, mais parce qu'ils nous soulèvent et nous exhaussent de toute leur stature gigantesque ». Bien que soutenant la thèse de l'origine chrétienne de la science, Michel Serres reconnaîtra: « Les fondateurs de fait de la science moderne se disent moins les héritiers de Copernic ou de Galilée qu'ils n'apprennent leur métier dans l'oeuvre d'Archimède ».
Les tenants d'une discontinuité, d'une « rupture épistémologique » entre la science de l'Antiquité et la science moderne considèrent que la première était plus contemplative, qualitative, spéculative, alors que la seconde serait devenue plus expérimentale, mathématique, utilitariste, visant désormais « l'allègement et l'amélioration de la condition des hommes ».
C'est pourtant depuis Euclide, Aristote, Hippocrate, Archimède et Ptolémée que la science part de l'expérience, des faits, du besoin humain immémorial de compréhension du réel. Les Grecs n'étaient pas de purs spéculateurs, mais d'abord de grands observateurs. Déjà Aristote affirmait ‒ contre Platon il est vrai ‒ que l'expérience seule témoigne de la réalité des êtres. Ératosthène (276-194) alla jusqu'à donner une approximation correcte de la circonférence de la Terre. Une définition précise de la méthode expérimentale fut développée par l'école des médecins empiriques, fondée au IIIème siècle av. J.-C. par Philinos de Cos, et dont le représentant le plus célèbre fut Ménodote de Nicomédie (fin du Ier siècle apr. J.-C./ première moitié du deuxième). Mais qui dit expérience dit mesure, or la technologie grecque de la mesure restait embryonnaire.
La science « moderne » a beau être dite expérimentale, l'expérience n'y est pas première mais seconde, construite pour tester une hypothèse conçue a priori, de façon « spéculative ». Si Colomb a découvert l'Amérique, c'est en testant le chemin qu'il imaginait vers les Indes. Einstein a développé sa relativité générale à partir d'expériences de pensée, et n'a pu la tester expérimentalement que bien après. La science a toujours combiné les deux approches, spéculative et observatrice. Les scientifiques ont été plutôt l'un, plutôt l'autre, suivant les individus plutôt que suivant les époques.
Quant à l'idée d'appliquer les mathématiques à la physique, elle existe chez la plupart des Grecs, de Pythagore à Archimède et Ptolémée, en passant par Platon. Prétendre comme Alexandre Kojève et Michel Serres que la physique théorique « ne pouvait être que chrétienne » semble ignorer Pythagore et Archimède, sans parler de l'étrange logique des arguments déployés ‒ l'Incarnation, la Transcendance.
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par Gilles Guénette
Récemment, sur le site de Radio-Canada, on apprenait que les signalements d'ovnis dans les espaces aériens canadiens ont presque atteint un record en 2013. Selon l'Ufology Research, un groupe de recherche sur les objets volants non identifiés qui recueille des données sur le sujet, les Canadiens auraient observé 1 180 ovnis l'an dernier, soit trois objets par jour.
C'est un peu moins qu'en 2012, mais c'est tout de même plus qu'à l'habitude, si on se fie aux rapports annuels produits par l'organisme depuis une vingtaine d'années. Selon le directeur de l'Ufology Research, Chris Rutkowski, le fait que des gens aient cru en la fin du monde telle qu'annoncée par le calendrier maya aurait sans doute eu un impact sur le nombre élevé de signalements.
Parmi les raisons évoquées pour expliquer ces signalements, l'organisme basé à Winnipeg mentionne les vols militaires d'entraînement secrets parcourant les régions plus peuplées, l'accès aux technologies nouvelles, telles que les téléphones intelligents permettant de prendre davantage de photos ou de vidéos, et les difficultés économiques.
Hein?! Les difficultés économiques?! « Quel est le rapport? », que vous vous dites. Eh bien les difficultés économiques joueraient un rôle dans le nombre élevé de signalements, « car les personnes ayant du mal à combler leurs fins de mois auraient tendance à regarder le ciel en aide », de dire Chris Rutowski. Ça ne s'invente pas.
Donc, plus la pauvreté d'une province serait grande, plus les chances d'y voir des ovnis seraient élevées? Hmm... Si tel était le cas, le Québec ‒ bon dernier dans bien des secteurs de l'économie, traînant une dette des plus importantes au pays et, aux dires de plusieurs, vivant au crochet du Canada grâce à la péréquation ‒ devrait être parmi les provinces où l'on voit le plus de ces objets volants.
Eh bien non! Selon le rapport de l'Ufology Research, il n'y aurait eu que 86 signalements en sol québécois l'an dernier. Peut-être est-ce comme pour les dons à des organismes de charité, qui ne seraient pas déclarés dans la Belle Province, et que les Québécois ne déclarent pas leurs observations célestes... Toujours est-il qu'avec 86 signalements, le Québec se retrouve en 4e position ‒ après l'Ontario, à 480, la Colombie-Britannique, à 298, et l'Alberta, à 129.
Peut-être pourrions-nous tenter d'améliorer notre position en 2014? Viser la première position! Mais peut-être ne sommes-nous pas suffisamment sensibilisés collectivement à ce qui se passe au-dessus de nos têtes? Je vois déjà la pub signée « Québec »: Avez-vous pris le temps de regarder les étoiles cette semaine avec votre ado? Profitez-en pour lui parler...
Il faut dire que l'état de crises permanent que vit le Québec depuis maintenant des décennies n'aide en rien notre positionnement dans ce palmarès de l'inexpliqué. Les Québécois n'ont tout simplement plus le temps de regarder vers le ciel. En 2013, ils étaient trop occupés à regarder les reprises des audiences de la commission Charbonneau à la télé, à débattre de la Charte des valeurs péquistes dans les chaumières et à se demander si le Canadien de Montréal allait faire les éliminatoires.
Une chose est sûre, le fait que les personnes qui ont du mal à combler leurs fins de mois aient tendance à regarder le ciel en aide n'a visiblement pas d'incidence sur le taux de signalements au Québec. Parce que des Québécois qui éprouvent des difficultés financières, à voir la popularité toujours grandissante des banques alimentaires, ce n'est pas ça qui manque!
À moins que ce soit parce qu'ils ne se tournent plus vers le ciel pour de l'aide... C'est vrai que depuis qu'ils ont remplacé Dieu par l'État, les Québécois ont tendance à se tourner bien plus vers la « Capitale nationale » pour de l'aide. Et ce, pas seulement pour arrondir leurs fins de mois.
dans Gilles Guénette, Pauvreté | Lien permanent | Commentaires (1)
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par Gabriel Lacoste
Salut à toi, héros moderne. Tu crois avoir bâti une société meilleure depuis maintenant plus de cinquante ans au Québec. Tu t'es trouvé un bon boulot dans une salle de classe ou un média et tu racontes à nos enfants ta belle histoire. Ou bien tu travailles pour le gouvernement. Tu te vois comme un de nos sauveurs qui, sautant dans la mêlée, ira aux barricades pour défendre le contrôle de l’État sur notre santé, notre éducation, notre entraide, notre justice et notre portefeuille contre les riches qui veulent s'en emparer. Voilà ton rôle.
Et si je te racontais une autre histoire? Et si je te disais qu'en voulant devenir notre sauveur, toi, le héros moderne, tu es devenu notre persécuteur et que tu ne sais plus trop ce que tu fais? Il se peut que tu n'aies pas envie de le savoir. Voici deux pilules; une bleue et une rouge. À toi de choisir.
S’associer contre l’oppresseur
Le héros prend son origine dans une contestation des hiérarchies traditionnelles au profit des exclus. Le héros de tes grands-parents, c'était le messager de Jésus qui diffusait sa bonne nouvelle selon laquelle tous les exclus au cœur pur seront sauvés par des miracles. Tu as aimé cette histoire, mais tu la trouvais un peu vieillotte. Une soutane, ça fait ringard. Tu es alors devenu moderne en changeant le nom des lieux et des personnages. Tu attribues à ton peuple les mêmes pouvoirs salvateurs qu'à Jésus, puis tu t'en fais le « représentant ».
Tu t'associes politiquement à d’autres pour émanciper les femmes, les pauvres, les travailleurs, les marginaux, les minorités culturelles, les peuples opprimés, du patronat, de la finance, de l'Église, de la majorité anglophone, de l'homme blanc, de la police et des codes de vie bourgeois. Tu suspectes la liberté économique d'être complice des puissants, car tu les vois comme plus habiles à tirer leur épingle du jeu des échanges impliquant de l'argent. Tu les vois marchander autour de l'assemblée du peuple et tu te dis que, le jour où, tel Jésus, le peuple entrera dans le temple pour les y chasser, le monde sera meilleur.
Au-delà de ces symboles accrocheurs, tu crois que les exclus sont mieux défendus derrière une bannière politique que seuls dans la jungle des marchés, la main protégeant leur portefeuille et choisissant librement ceux avec qui ils veulent échanger. Ta croyance a pourtant une faille logique: Si nous sommes vulnérables seuls en situation d'échange, nous le sommes aussi seuls en situation d'association politique. Si les échanges contiennent des mécanismes de domination, l'association politique en contient elle aussi, même enveloppée dans des discours de justice sociale et de solidarité populaire.
Et si je te racontais que les nouveaux privilégiés de ton système réussissent à camoufler cette nouvelle domination en nous racontant l'histoire de ton héroïsme? Et si c'était toi qui agissais de la sorte?
Nous libérer pour notre bien
Toi, le héros moderne, tu idéalises le socialisme démocratique. Tu vises l'égalité. Selon toi, « liberté » ne signifie pas nous laisser prendre des décisions par nous-mêmes et vivre avec les conséquences. Non, car tu estimes que nous sommes sous l'emprise de différents « déterminismes sociaux » qui nous poussent à agir contre nos intérêts au profit d'une classe dominante. Nous, les consommateurs, sommes influencés par des publicités mensongères. Nous, les femmes, sommes endoctrinées par une culture patriarcale machiste. Nous, les pauvres, agissons parce que nous avons été privés d'un milieu de vie stimulant. Ceux qui ont eu la chance d'être mieux placés que nous à la naissance peuvent donc nous exploiter plus facilement. Nous qualifier de libre est une erreur.
Tu te vois alors comme celui parmi nous qui s'est libéré « réellement ». Tu t'autorises à nous imposer politiquement des mesures de « correction » visant à nous libérer ainsi de nos chaînes pour notre bien.
Ton discours cache une nouvelle forme de domination dans laquelle tu es au centre. Tu iras travailler en missionnaire dans ces programmes gouvernementaux munis d'instrument de contrôle sur nous. Nous, les clients de services essentiels, devenons tes « usagers » et sommes obligés de te payer et de recevoir tes services à ton tarif selon tes exigences. Tu peux désormais faire valoir ton propre plan « éducatif » à l'encontre du nôtre. Nous, les étudiants, devons suivre plus de cours que nous le voulons sous prétexte de nous former à la citoyenneté. Nous, les pauvres, pouvons être amenés à nous faire imposer des « conseillers » qui nous contrôlent et nous sermonnent moyennant un cadeau monétaire qui encourage notre dépendance.
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Le nouvel ouvrage de Robert Leroux et David M. Hart, qui couvre plus d'un siècle d'histoire intellectuelle, retrace les succès et les échecs du libéralisme français, en laissant la parole à ceux qui, de Benjamin Constant à Gustave de Molinari, l'ont façonné et ont contribué à le diffuser.
Cet important courant de pensée, qui prend un essor considérable au lendemain de la Révolution française, est souvent connu de manière superficielle, réduit à quelques auteurs célèbres. En réalité, les grands changements du temps ont eu d'innombrables témoins chez les libéraux. Provenant de différents horizons intellectuels, ils ont défini les principes d'une société libre; d'où leur acharnement à combattre le protectionnisme, le socialisme ou le communisme.
Utopistes, les libéraux l'ont sans doute été, dans la mesure où ils ont mis leur doctrine au service d'une société à faire et à définir. Mais ils ne se sont pas limités à contester l'ordre social et à appeler de leurs voeux diverses réformes; ils ont aussi largement contribué au développement des sciences sociales et de plusieurs disciplines comme l'économie politique, l'histoire, la sociologie, la philosophie et même la littérature.
Chacun des textes est accompagné d'une présentation biographique de son auteur, puis de quelques commentaires sur la nature de son apport à la pensée libérale. C'est, au total, pas moins de quatre générations de penseurs qui se tendent la main à travers le XIXe siècle et qui offrent ainsi une vue d'ensemble de ce qu'on peut appeler « l'âge d'or du libéralisme français ».
Nous publions ici la préface de Mathieu Laine et la table des matières, avec l'aimable permission des auteurs.
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Préface
L'Âge d'or du libéralisme français est un véritable trésor. Une mine remplie des plus beaux diamants intellectuels que la pensée libérale a pu produire. Le travail de sélection de Robert Leroux et David M. Hart, passés maîtres dans l'art subtil et savant de l'extraction des plus beaux textes – et ils sont nombreux ! – que le XIXe siècle a offerts à l'humanité, produit l'effet d'un souffle vertueux.
Du grand Benjamin Constant au visionnaire Gustave de Molinari (son Ultima verba est prophétique) en passant par le génie Jean-Baptiste Say, l'audacieuse et courageuse Germaine de Staël et l'immense Frédéric Bastiat, c'est un feu d'artifice de liberté qui explose à chaque page, un délice pour l'oeil, l'esprit, l'éthique universelle et personnelle. Car ces textes ont en commun d'allier la finesse et l'élégance de la plume, la précision du raisonnement, une puissante modernité et une incroyable capacité d'innovation dans des champs aussi variés que l'économie, la sociologie, la philosophie, le droit ou la morale.
Bien entendu, c'est pour la succession inédite de ces grands penseurs de la liberté que le XIXe siècle peut effectivement être considéré comme un véritable « âge d'or » pour le libéralisme français, et non pour les politiques menées (autoritarismes napoléoniens, régimes monarchiques conservateurs, la Révolution de 1848 marquée par l'opposition violente entre divers courants constructivistes, etc.). Mais c'est bien le bonheur de cet ouvrage de nous replonger dans une pensée qui a su résister aux tyrans comme aux modes et penser avec tant de justesse l'action humaine face aux interventionnismes de toute espèce.
De cette heureuse promenade, qui puise parfois dans le célèbre Journal des économistes du visionnaire Gilbert Guillaumin, on retiendra notamment, sans goût prononcé du paradoxe, que le libéralisme n'est pas un simple économisme, comme ses ennemis veulent souvent le réduire, mais bien un humanisme fondé sur un corps de principes essentiels à la préservation des droits fondamentaux de l'être humain. Car ces penseurs ne sont pas les enfants de la révolution pour rien (on lira Charles Dunoyer sur les révolutions et les révolutionnaires). C'est pour protéger l'individu de l'arbitraire que le droit – naturel – de propriété est sanctifié chez Pierre-Louis Roederer, Charles Comte ou Léon Faucher. Ce n'est pas un vain mot pour Tocqueville de défendre la liberté de la presse ou pour Daunou de combattre pour la liberté d'expression. Et toute personne regardant avec objectivité cette pensée comprend qu'elle s'est très logiquement opposée autant au colonialisme du XIXe siècle (lire le texte d'Yves Guyot) et aux tyrans de son époque (on relira Benjamin Constant sur l'usurpation et le despotisme de Napoléon) qu'elle ne s'élèvera avec force contre tous les totalitarismes du siècle suivant.
Ce livre qu'on dévorera, comme je l'ai fait, d'une traite, en jubilant, ou dans lequel on picorera avec gourmandise, recèle autant de pépites insoupçonnées que de monuments de la pensée (on pense par exemple aux fameux « L'État » et « Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas » de Frédéric Bastiat, que tout honnête homme devrait avoir lu au moins une fois dans sa vie, ou encore ce plaidoyer sublime de Jean-Baptiste Say pour l'entrepreneur, redécouvert depuis par Schumpeter puis par Kirzner).
Il est livré à son public, que j'espère nombreux, à un moment clé où le monde se partage entre ceux qui, happés par la pensée magique, troqueraient volontiers leur liberté pour maintenir l'illusion d'une (fausse) sécurité et s'enchaînent d'ores et déjà aux mensonges du socialisme de gauche, de droite et d'extrême gauche et d'extrême droite, et ceux, de plus en plus nombreux, qui aspirent à recouvrer ces valeurs premières qui font le bonheur des peuples en restaurant les droits de chacun.
Nul doute que cet ouvrage savant et accessible servira la noble cause de ces derniers et qu'au-delà du plaisir réel d'une lecture délicieusement enrichissante, il contribuera, dans la lignée d'un Benjamin Constant rayonnant autant sur la perfectibilité de l'être humain que sur la liberté individuelle, à l'élévation des esprits et au triomphe annoncé du pluralisme et de la liberté. Ou mieux encore, comme l'avance Madame de Staël, de « l'amour de la liberté » !
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par Pierre-Guy Veer
Plusieurs étatistes continuent de dire que la déréglementation et le capitalisme (ajouter superlatif négatif du jour) ont causé la crise économique des dernières années. Or, il n'en est rien; une crise économique de cette envergure ne peut avoir qu'une seule source: le gouvernement. Avec ses énormes pouvoirs de coercition, il peut facilement forcer de nombreux acteurs économiques à adopter des comportements irrationnels allant à l'encontre de leurs intérêts.
John A. Allison, président de l'Institut Cato à Washington et ancien PDG de la banque BB&T (Branch Banking and Trust), a pu voir cette influence destructrice au cours de sa carrière à la tête de cette grosse banque de la côte est des États-Unis. Il parle en long et en large de la crise économique, et propose d'excellentes solutions pour en éviter une autre, dans son excellent livre The Financial Crisis and the Free Market Cure: Why Pure Capitalism is the World Economy's Only Hope (McGraw-Hill, 2012).
Dans la tradition des économistes autrichiens, il voit l'économie pour ce qu'elle est vraiment: une observation du comportement humain. En résumé, les humains tendent à agir selon ce qui semble être leur meilleur intérêt d'après ce qu'ils voient autour d'eux – ce qui peut paraître irrationnel avec le recul ne l'était pas quand le geste fut posé. C'est d'ailleurs cette irrationalité qui engendre des crises économiques puisque, comme en physique, toute action a sa réaction.
L'une des principales causes de la crise qui fait encore rage fut l'éclatement de la bulle immobilière en 2007-2008. Comme toute bulle, son origine peut être repérée dans des politiques gouvernementales, et elles sont nombreuses. Selon Allison, l'immobilier est le domaine qui a reçu le plus de subventions depuis le New Deal des années 1930.
On voulait ainsi encourager tout le monde à s'acheter une maison, même si: 1) ce n'est pas pour tout le monde, particulièrement pour les gens qui déménagent souvent; et 2) ce n'est pas un investissement au sens économique du terme, c'est-à-dire qui permet de produire plus de valeur. Comme une maison ne produit rien une fois qu'elle est construite, elle est un bien de consommation au même titre qu'une voiture ou un sac de carottes. Sans compter que plusieurs emplois directs dans la construction, une fois que la bulle éclate, deviennent obsolètes, ce qui ajoute à la perte sèche quand la bulle éclate…
Dans les années 1990, cet encouragement s'est fait (presque littéralement) à la pointe d'un fusil. En effet, soucieux d'entretenir sa base électorale noire, le président Bill Clinton a soudainement décidé d'appliquer certains règlements visant à empêcher la discrimination raciale dans les prêts bancaires. Pour ce faire, il s'est basé sur une étude plus que douteuse de la Fed (la banque centrale américaine), qui affirmait que les Noirs étaient discriminés en se voyant refuser un prêt qu'un Blanc, avec un même ratio de dette, réussirait à obtenir.
L'ennui, c'est que le ratio d'endettement d'une personne est loin d'être le seul facteur pris en considération par les prêteurs. Il y a également la durée des emplois ainsi que le paiement ou non des dettes. Mais comme la quasi-totalité des régulateurs ne connaissent rien aux prêts, ces « menus » détails étaient sans importance; les bonnes intentions ont préséance sur le gros bon sens des banquiers.
Et ce gros bon sens a fortement été affecte quand Clinton a forcé Fannie Mae et Freddie Mac, deux agences quasi gouvernementales qui garantissent les hypothèques, à détenir jusqu'à 50% de prêts hypothécaires offerts aux gens à faible revenu qui ne peuvent normalement obtenir d'hypothèques (les fameux « subprimes »). En d'autres termes, au nom d'une politique « charitable » visant à faciliter l'achat d'une propriété, l'administration Clinton (Bush, son successeur, n'a pas pu changer ces règles) a donc parti le bal dans le gonflement de la bulle immobilière en diminuant dramatiquement les conditions préalables à l'obtention d'une hypothèque.
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par Damien Theillier
Dans son article « Vrai et faux individualisme », l'économiste Friedrich Hayek a fait un éloge très appuyé du livre d'un économiste français réputé du début du XXe siècle, Albert Schatz (1839-1910), intitulé L'individualisme économique et social. Il le qualifie d'« excellente revue de l'histoire des théories individualistes ». Et il ajoute, « cet ouvrage, auquel je dois beaucoup, mérite d'être bien plus largement connu non seulement comme contribution à notre sujet mais comme histoire de la théorie économique en général. »
Ce livre vient d'être réédité par Les Belles Lettres dans la remarquable collection d'Alain Laurent, Bibliothèque classique de la liberté (on trouvera aussi sur Amazon.fr une version ebook qui avait été antérieurement éditée par l'Institut Coppet). Dans cet opus volumineux, Schatz est le tout premier historien des idées en date à avoir proposé un panorama généalogique quasi-exhaustif des grandes conceptions de la pensée économique libérale depuis ses origines. Mais, c'est aussi et surtout un plaidoyer pour le véritable individualisme contre la caricature qui en est faite par ses adversaires socialistes et traditionalistes.
L'individualisme n'est ni un atomisme, ni une apologie de l'égoïsme
Dans son livre, Albert Schatz s'attache à montrer que l'individualisme ne se confond ni avec l'égoïsme, ni avec un quelconque atomisme. Dans son avant-propos, il dénonce d'emblée le contresens qui tend à faire de l'individualisme une apologie de l'individu isolé ou autosuffisant:
« Je prie seulement le lecteur de n'avoir pas peur du titre. Il aura si souvent entendu dire que l'individualisme, c'est l'égoïsme, l'isolement de l'individu obligé de se suffire à lui-même et conduit à se désintéresser de ses semblables, qu'il est en droit d'être prévenu contre le mot: les plus honnêtes gens s'y sont trompés. »
Les hommes vivent en société, c'est un trait fondamental de la nature humaine. L'individu réel est donc toujours membre d'une association et c'est par l'association qu'il développe son individualité. Schatz écrit:
« L'homme vivant est toujours uni à d'autres individus qui composent avec lui la famille, la tribu, la cité, la corporation, la nation, et l'individualisme a donc pour objet, comme tout système social, les rapports que l'homme réel entretient nécessairement avec ses semblables. Quant à l'égoïsme, c'est-à-dire à l'état d'un individu qui volontairement, se replie sur lui-même et se désintéresse de ses semblables, il est le pire des obstacles que rencontre l'individualisme, puisque l'individualisme prétend amener chaque individu à son complet état de développement en lui faisant comprendre qu'il n'est rien et qu'il ne peut rien sans le concours des autres hommes, que leur bonheur et leur prospérité ont leur contrecoup sur sa prospérité et sur son bonheur, en élargissant par conséquent de plus en plus le domaine auquel s'étend son intérêt personnel. »
Quels sont les caractères essentiels du vrai individualisme?
À l'origine, les deux termes d' « individualisme » et de « socialisme » sont une invention des saint-simoniens, fondateurs du socialisme moderne. Ils utilisèrent pour la première fois le mot d'individualisme pour décrire la société concurrentielle à laquelle ils étaient opposés et inventèrent ensuite le « socialisme » pour décrire la société planifiée.
Schatz s'en prend aux conceptions de la justice sociale et de la solidarité chères au socialisme de Jean Jaurès et de Victor Basch. Leur collectivisme égalitaire et autoritaire est foncièrement contradictoire avec l'aspiration à la liberté individuelle, c'est-à-dire à l'initiative et à la responsabilité personnelle.
En réalité, l'individualisme défend l'association. Mais à la différence du socialisme, il la veut seulement libre. Toute association peut devenir tyrannique, si elle devient monopolistique, protégée par la force de la loi. L'association libre est donc une association soumise à la concurrence.
De même que l'association doit pouvoir se former librement dans tous les domaines, de même elle ne doit pas annihiler la personnalité de ses membres, mais, au contraire, la développer en augmentant leur puissance d'initiative. L'individualisme est donc, par essence, la recherche d'un accroissement constant d'initiative individuelle dans le cadre d'une coopération avec les autres.
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