George W. Bush se réfère constamment à l'idéal de liberté dans ses déclarations et discours. Les États-Unis sont encore vus par bien des gens dans le monde comme un pays où règne le libéralisme économique (ou le «capitalisme sauvage», selon la perspective), où l'État est limité et peu interventionniste, et où l'idéologie dominante valorise les libertés individuelles plutôt que des valeurs collectivistes. Les gauchistes dénoncent l'impérialisme américain justement parce qu'ils croient que les États-Unis cherchent à imposer ces valeurs libérales partout dans le monde. Au contraire, les conservateurs (et beaucoup de libéraux et libertariens ignorants et confus sur ce point) ont tendance à sympathiser avec les interventions américaines exactement pour la raison inverse, parce qu'ils y voient une façon relativement bénigne de propager ces valeurs.
Ces positions de gauche et de droite sont évidemment aussi fausses les unes que les autres. L'interventionnisme militaire dans les affaires d'autres pays qui n'ont pas attaqué les É.-U. est, comme toute forme d'interventionnisme étatique, de l'étatisme, pas du libéralisme. Bush est en fait un étatiste qui a plus fait grossir l'État américain depuis qu'il est président que la plupart de ces prédécesseurs. Et la société américaine, bien qu'elle soit relativement plus libérale que d'autres dans certains domaines, l'est moins dans d'autres. Comme cela s'est produit dans tous les autres pays occidentaux, l'État américain n'a pas cessé de grossir depuis 150 ans.
L'un des avantages de se retrouver dans une telle réunion avec des tenants de l'École autrichienne est qu'on peut discuter de ces questions sans tomber dans la dichotomie «pro-américain» versus «anti-américain». Les Autrichiens américains sont extrêmement critiques envers leur gouvernement et leur pays, non pas bien sûr parce qu'ils sont anti-américains, mais parce qu'ils sont anti-étatistes. Ils ont de la sympathie pour l'expérience historique qui a suivi la révolution de 1776, celle d'une république décentralisée avec un État limité. Mais ils ne sont pas assez naïfs pour croire que cette république existent toujours. Elle a commencé à s'effondrer dès le cataclysme de la Guerre civile, qui a permis à l'État central de consolider son pouvoir aux dépens des États fédérés. Et selon le professeur Thomas DiLorenzo (auteur du récent How Capitalism Saved America), qui donnait hier une présentation sur «The Revolution of 1913», trois clous ont fini de celler le cercueil de cette république décentralisée durant cette année cruciale.
C'est en effet en 1913 que le 16e amendement à la Constitution, permettant l'instauration d'un impôt sur le revenu, a été adopté. (Incidemment, le Canada n'a instauré un tel impôt que quatre ans plus tard.) Jusque-là, Washington tirait ses revenus de tarifs et de la vente de terrains. Évidemment, l'impôt sur le revenu a permis aux recettes d'augmenter de façon exponentielle, et à l'État de grossir et d'intervenir au même rythme. La même année, la Federal Reserve a été mise sur pied. La Fed a entrepris à partir de ce moment de créer toujours plus de monnaie (notamment pour financer les dépenses de l'État), et conséquemment de générer de l'inflation et de diminuer la valeur des dollars en circulation. L'inflation est une forme d'impôt indirect qui gruge les économies des gens. Selon la perspective autrichienne, ce sont également les manipulations monétaires qui provoquent les récessions comme celle de 1929. Nationaliser la monnaie a eu des conséquences désastreuses tout au long du 20e siècle.
Enfin, c'est aussi en 1913 que le 17e amendement à la Constitution, permettant l'élection directe des sénateurs par la population des États plutôt que par leur législature, a été adopté. Jusque-là, les sénateurs représentaient les intérêts de leurs États et se posaient régulièrement en défenseurs des droits des États lorsque Washington tentait de centraliser son pouvoir. Sinon, ils se faisaient rappeler à l'ordre par les législateurs locaux qui les avaient élus. Après 1913, les sénateurs sont devenus des politiciens «nationaux», dont les intérêts coïncident souvent avec ceux de l'État central, et qui ont acquiescé au mouvement de centralisation qui s'est poursuivi tout au long du 20e siècle et jusqu'à ce jour.
Les États-Unis ne sont plus depuis longtemps une société où règne le libéralisme. (Et lorsque c'était le cas, les Noirs, les Amérindiens et d'autres groupes en étaient exclus.) Les gauchistes dénoncent ce pays pour de mauvaises raisons. Mais malgré tout ce qu'on peut admirer dans la société américaine, nous, libertariens, n'avons aucune raison de les prendre aujourd'hui en exemple, sauf dans des domaines bien précis. Et comme les Autrichiens américains, toutes les raisons de les critiquer, exactement comme on critique l'étatisme au Québec, au Canada, en France et ailleurs.