Deux ans après l'agression américaine en Irak, la guerre a cessé depuis longtemps de faire les manchettes. Mais ceux qui lisent les nouvelles internationales constatent que jour après jour, des combats et des attentats terroristes continuent de faire des dizaines de morts parmi les soldats américains, les soldats et policiers irakiens, mais surtout parmi la population civile. Les forces militaires américaine et irakienne en sont à leur énième «opération de nettoyage» contre l'une ou l'une des factions qui tentent de déstabiliser le pays.
Vous vous souvenez de la destruction de Fallujah? Eh oui, ça devait être l'assaut final contre le principal repaire des insurgés et on s'attendait à une pacification rapide du pays par la suite. Aujourd'hui, c'est l'«Opération Éclair» qui est lancée, une «opération massive pour maîtriser la violence à Bagdad». Et rien n'indique qu'on soit plus près du but. Pendant ce temps, entre autres conséquences de la guerre, les chrétiens, cibles de persécution et d'attentats, quittent le pays, et cette ancienne communauté est en train de disparaître. Ah mais de quoi se plaint-on, les Irakiens sont libres ! Ils peuvent voter !
Tout cela ressemble à s'y méprendre aux prédictions que les rabat-joie comme moi faisaient il y a deux ans, et encore il y a un an, sur les effets pervers à venir de cette invasion. Ce qu'on voyait alors, c'était l'effondrement rapide d'un régime autoritaire. Ce qu'on refusait de voir, c'était la destruction, les dizaines de milliers de morts, le chaos. Aujourd'hui, l'euphorie de la victoire est passée, et il ne reste plus que les effets pervers qui se poursuivent, jour après jour.
Les néoconservateurs (tous comme les libéraux et libertariens qui ont appuyé la guerre) se font d'ailleurs plutôt discrets ces derniers temps. Les dénonciations arrogantes des opposants à la guerre se font rares. On chuchote parmi mes contacts que l'équipe éditoriale du National Post, qui comptait parmi les défenseurs les plus fanatiques de l'administration Bush et de l'impérialisme américain il n'y a pas si longtemps, n'est plus aussi convaincue des bienfaits de l'invasion. Certains qui en sont revenus admettent leur erreur. C'est le cas de Rod Dreher, éditorialiste au Dallas Morning News, dans un article publié dans La Presse de ce matin.
M. Dreher raconte qu'il est allé dernièrement prendre un café avec deux vieux amis officiers impliqués dans la guerre. «C'est avec nervosité que je leur ait avoué ressentir une profonde angoisse à propos de la guerre en Irak et que ma confiance s'émoussait à l'égard du leadership du président Bush. (…) je leur ai dit que je m'en voulais d'avoir laissé le nationalisme et les événements de septembre 2001 corrompre ma pensée. Et aujourd'hui, l'initiative que j'ai naguère appuyée fait en sorte que mon pays est enlisé dans ce qui semble être un deuxième Vietnam. Je m'attendais que mes amis me crient après. En fait, ils étaient principalement en accord avec moi. Ils ont même convenu que les républicains erraient en refusant de parler du gâchis que les États-unis ont créé dans le désert.»
L'éditorialiste avait donné le bénéfice du doute au gouvernement américain. Mais les révélations sur le tripotage de renseignements et les promesses irréalistes lui ont ouvert les yeux. «Ils nous ont dit, maintes et maintes fois, que tout se passerait pour le mieux en Irak, rapidement, une fois que ceci ou cela se produirait. Lorsque nous allons capturer Saddam, par exemple. Cela ne s'est pas produit. Lorsque nous remettrons le pouvoir aux Irakiens. Cela n'est pas arrivé. Lorsqu'il y aura des élections libres. Cela ne s'est pas produit. Et maintenant, nous constatons que les insurgés sont toujours très actifs et que les soldats irakiens continuent d'en arracher en situation de combat. Un officier supérieur américain a indiqué au New York Times que les soldats américains resteront vraisemblablement en Irak pendant 'de nombreuses années'. Une guerre sans fin, amen.»
«(…) j'ai une bonne réponse à fournir à ceux qui ont averti des gens comme moi que cette aventure en Irak finirait mal : vous aviez raison. Ça fait du mal de le reconnaître, mais c'est la vérité.»
Voilà. On en reparlera de nouveau dans un an. D'ici là, d'autres partisans déçus de la guerre feront leur mea culpa. Quelques-uns, les plus déconnectés de la réalité, prétendront qu'on aurait pu rapidement pacifier le pays et le remettre sur les rails si seulement le gouvernement Bush avait mis le paquet sur le plan militaire. Traduction : tout irait mieux aujourd'hui en Irak si on avait tué et détruit à plus grande échelle. C'est la même logique que plusieurs nostalgiques appliquent aujourd'hui au Vietnam. Le Vietnam dont on célébrait incidemment il y a quelques semaines le développement, l'ouverture au monde et le libéralisme de plus en plus marqués trente ans après le retrait en catastrophe des troupes américaines. Des millions de morts au nom de la «liberté» pendant deux décennies, pour en arriver là…
Espérons que les Américains se feront humilier et expulser d'Irak plus rapidement que du Vietnam. Question de mettre fin plus vite à la tuerie, mais surtout de leur enlever une fois pour toutes l'envie de jouer à l'empire planétaire et d'envahir d'autres pays qui ne les menacent pas.