Selon Bernard Mooney, directeur de la section Investir de l'hebdomadaire Les Affaires, il faut éviter d'investir dans l'or, car celui-ci n'a qu'une valeur subjective, il est impossible de prédire son prix et son rendement est pitoyable:
«D'abord, sa valeur est subjective. Le prix d'une action est déterminé par les profits générés par l'entreprise, ce qui ne peut pas être plus objectif. Par contre, à long terme, l'or n'a pas d'autre valeur que celle que l'on veut bien lui attribuer. Son prix peut ne pas bouger pendant des décennies complètes… Par ailleurs, même si plusieurs experts se disent capables de prédire le prix de l'or, la réalité est plus simple: personne ne sait ce que fera l'or, peu importe que ce soit à long ou à court terme. Ce qui en fait un placement spéculatif à 100% et donc à éviter.» (Journal Métro, 24 mai 2005)
M. Mooney a raison, l'or a bien une valeur subjective dans la mesure où chacun désire se le procurer à un certain prix. Mais comme l'explique la théorie économique autrichienne, il en va de même pour tous les biens économiques, dont les actions des entreprises. Le prix de celles-ci fluctue constamment parce que la valeur qu'on leur attribue n'est pas la même pour tous. Chacun interprète à sa façon les profits déclarés d'une entreprise et les autres données financières qui la concernent.
Le cours du prix de l'or est sans doute difficile à évaluer, notamment parce qu'il est l'objet de manipulations financières, elles-mêmes issues de décisions politiques. Nonobstant cette difficulté, il est en partie possible de prédire le prix de l'or à partir de données concrètes tirées de son offre et de sa demande. Toutefois, dire que cela fait de l'or un produit dont la valeur est aussi «objective» que celle d'une action n'ajoute pas grand-chose d'intéressant.
Les concepts d'objectivité et de subjectivité sont à utiliser avec soin, car on s'en sert pour dire à peu près n'importe quoi, ce qui obscure la pensée. Lorsque M. Mooney écrit que «Le prix d'une action est déterminé par les profits générés par l'entreprise», il a en tête la capacité de prédire le prix d'une action. Cependant, il passe outre une distinction importante entre les concepts de prix et de valeur.
Les profits d'une entreprise lui donnent certes de la valeur comptable, mais celle-ci ne se traduit pas nécessairement dans le prix de l'action. L'entreprise peut valoir beaucoup plus ou beaucoup moins que le prix indiqué, et pas seulement à cause des profits qu'elle génère ou ne génère pas. Le prix payé pour une action est un acte concret, objectif dirait certains, mais lorsque vous constatez, après quelque temps en sa possession, que l'action ne vaut plus que le dixième de ce que vous avez payée, vous remettrez en question votre «objectivité». Croyez-moi, cela a un effet concret!
Enfin, M. Mooney soutient que l'or constitue un rendement pitoyable: «Une once d'or se vendait 20$ US en 1900. Plus de cent ans plus tard, elle vaut environ 400$. C'est un investissement pitoyable. De plus, le propriétaire doit payer pour l'entreposage et l'assurance de son or.»
Il considère qu'il aurait mieux valu investir dans les actions durant la même période en mentionnant, à titre d'exemple, que l'indice Dow Jones est passé de 60 à 10 000 points. Or, on ne peut comparer un indice boursier au prix d'une matière première ou d'une monnaie, car il s'agit de deux choses différentes. En 1900, l'or servait de monnaie, c'est donc à la monnaie fiduciaire qu'il y a lieu de le comparer. Selon les chiffres et la période indiqués par M. Mooney, l'augmentation du prix de l'or, en pourcentage, a été de 1900%. Durant la même période, le dollar américain a perdu 98% de sa valeur à cause de l'inflation. La perte du pouvoir d'achat du dollar canadien est similaire. Alors, quel est l'investissement le plus pitoyable?
Une once d'or en 1900 s'échangeait contre 20$ US et pouvait acheter, entre autres choses, un habit. Aujourd'hui, la même once d'or s'échange contre 420$ US et achète le même habit. Autrement dit, une once d'or dans nos poches aujourd'hui vaut autant qu'il y a cent ans. On ne s'enrichit peut-être pas en sa possession, mais on ne s'appauvrit pas non plus. Si vous pouviez retourner dans le temps, choisiriez-vous de garder en votre possession une once d'or ou 20$?
André Dorais