Un lecteur trouve aberrant qu'un texte publié sur le blogue il y a deux jours demande une loi pour protéger le hockey. Il écrit:
«La culture, cela n'a rien de statique. C'est la dynamique de l'ensemble de la population qui la construit et la fait évoluer. Demander encore une fois de protéger un élément de la culture, est-ce vraiment la bonne chose à faire? Avant son invention, est-ce que le hockey faisait partie de la culture? On voit bien que non. Alors, sûrement que lors de sa montée dans la faveur populaire, des gens devaient crier au scandale car la pétanque et les soirées musicales perdaient la cote. La vie bouge, et ainsi fait la culture. Ça ne s'impose pas! Ce genre de message mine énormément la crédibilité du blogue. Je n'ai pas vraiment envie d'en faire la promotion lorsque je vois des textes de ce type.»
Le lecteur a absolument raison - et c'est justement pour cela que nous avons publié cette parodie de discours ultra-nationaliste de M. Jacques Sabourin! Il est bien indiqué que c'est un précédent commentaire critique sur le nationalisme linguistique de la SSJBM qui a inspiré ce texte, mais on entend si souvent ces appels à la protection de notre langue et de notre culture que plusieurs lecteurs l'ont peut-être pris au sérieux.
Cette parodie n'est d'ailleurs pas si loin de la réalité qu'on pourrait le croire. Il y a douze ans, je publiais un article d'opinion dans Le Devoir intitulé «Le hockey, fossoyeur de la nation?», qui répliquait à celui d'un philosophe patenté, Pierre Desjardins, qui colporte encore régulièrement ses thèses débiles dans les pages des quotidiens. À l'époque, il avait non pas voulu défendre mais bien dénoncer le hockey comme un sport violent, digne des combats de gladiateurs et en fait étranger à notre culture. Selon lui, «on retrouve schématiquement dans le hockey les principales constituantes des principes qui guident le développement du libéralisme économique», principes qui seraient «véhiculés chez nous par l'américanisme».
Cela montre bien que tenter de définir, figer et protéger la culture n'a aucun sens. Cela ne signifie pas qu'il faille ne rien valoriser et qu'on puisse être tout et n'importe quoi en même temps, mais plutôt qu'il est impossible de construire une perspective holiste, collectiviste, qui circonscrit la culture comme une entité parfaitement définie qui s'applique à tous les membres du groupe. Je n'ai jamais regardé le hockey, je n'aime pas ce sport et la grève de l'hiver dernier m'a laissé complètement indifférent. Suis-je «moins québécois» pour autant (ou plus, selon le philosophe patenté)? La culture est d'abord le résultat de l'interaction entre des millions d'individus qui ont des goûts et des attitudes différentes. Il faut s'en remettre à cette réalité pluraliste et changeante pour la comprendre. Elle n'a pas non plus de frontières claires, puisque le groupement humain qu'on appelle arbitrairement aujourd'hui «la société québécoise» a connu d'autres identités à travers les époques, est perméable à celles d'autres groupes, et continuera d'évoluer (peut-être pour finir par disparaître et être remplacé par autre chose) dans l'avenir.
L'attitude nationaliste en est une au contraire de repli sur soi, qui absolutise une caractéristique transitoire, partielle et arbitraire associée à une culture. Elle peut d'ailleurs aussi bien se fixer sur une chose que sur son contraire, comme on le voit avec le hockey. Ou prenons le cas central de la langue: qu'est-ce qui caractérise vraiment fondamentalement la société québécoise? La prédominance du français, qu'il faudrait donc imposer à tous comme le demandent les nationalistes? Ou justement le fait que depuis 250 ans, même si le français est prédominant, nous sommes en fait une société bilingue, où l'anglais a toujours tenu une place importante? On pourrait tout aussi bien défendre, d'un point de vue nationaliste, cette caractéristique fondamentale de l'identité québécoise depuis deux siècles et demi qu'est la présence de deux langues et cultures importantes sur ce territoire.
La position libertarienne là-dessus, c'est qu'il faut laisser les individus libres de se définir comme ils veulent. La culture est ce qui émergera de ces interactions libres. L'État n'a pas à nous dire comment nous devons nous définir, ni à nous imposer la définition d'une clique de nationalistes qui croient mieux savoir que nous ce que nous devrions être.