J'ai retrouvé un article intéressant dans mes archives, un article de La Presse du 28 janvier 1988. On y rapporte les réactions de certains ministres du gouvernement Bourassa relativement à plusieurs reportages télévisés montrant qu'il y avait dans les urgences des patients «cordés dans les corridors», à qui on «demandait d'attendre plusieurs heures». L'attaché de presse de Thérèse Lavoie-Roux, ministre de la Santé de l'époque, explique qu'il faut éviter de «dramatiser la situation», qu'il s'agit d'une situation temporaire, d'un phénomène dû à une période de pointe (moi, je dis que 17 ans pour une situation temporaire, c'est plutôt long...). On affirmait même que l'ouverture d'une nouvelle construction réservée aux urgences de l'hôpital Saint-Luc allait régler le problème de l'engorgement dans cet établissement! La solution proposée par le président du Conseil du trésor Paul Gobeil en 1988: une meilleure coordination des ressources disponibles, une meilleure organisation du système. Hum... j'ai déjà entendu ça quelque part….
Mais Paul Gobeil n'avait pas tort sur toute la ligne. Il insistait pour dire qu'injecter plus de fonds dans la santé n'améliorerait pas la situation. Il avait tout à fait raison. En 1988, selon Paul Gobeil lui-même, les dépenses des services sociaux représentaient un tiers du budget du gouvernement provincial. «C'est à mon point de vue la limite de nos capacités», estimait-il. Aujourd'hui, moins de 20 ans plus tard, c'est 43% du budget qui est consacré à la santé. Et les listes d'attente s'allongent, les pénuries de médecins et de personnel infirmier s'aggravent, les infections au Clostridium difficile tuent des patients par dizaines, les hôpitaux sont délabrés et les urgences débordent même hors des soi-disant périodes de pointe. Je viens d'entendre Henri Massé de la FTQ évoquer des scénarios d'apocalypse si le gouvernement provincial n'invoque pas la clause dérogatoire pour se soustraire au jugement de la Cour suprême. Hein? Ça peut être pire? Malgré son parler aux accents de joual, je vous parie qu'il n'aura jamais à séjourner dans le «Corridor du Peuple», celui-là.
L'intérêt de cet article de 1988 ne s'arrête pas là. Paul Gobeil tenait à cette époque des propos timides, mais sensés. Il affirmait n'être pas opposé au principe d'une participation du privé dans la santé, en insistant toutefois qu'il n'était pas favorable au développement d'une médecine à deux vitesses. Il pensait même que le secteur privé assurerait probablement de meilleurs services parce que «historiquement, quand l'entreprise privée a été dans un secteur, la situation a été améliorée». Cerise sur le sundae, il concluait que les Québécois devraient s'interroger sur l'avantage de certaines privatisations et qu'il était favorable à ce «qu'au moins» des projets pilotes soient mis sur pied. Renversant! Révolutionnaire! Qu'a-t-il bien pu arriver à nos politiciens et nos leaders d'opinion entre 1988 et 2005? Lobotomie?
En terminant, anecdote amusante: Paul Gobeil, aujourd'hui homme d'affaires, est le conjoint de la juge Marie Deschamps de la Cour suprême. Cela étant, je potine et ne cherche pas à remettre en cause l'impartialité du juge Deschamps.
Claire Joly