Comme M. Texier, je pense qu'il faut s'impliquer pour faire avancer les choses et ne pas se contenter de discuter et de prêcher aux convertis. Mais lorsque «faire avancer les choses» signifie disséminer une philosophie, une façon d'interpréter le monde, la distinction n'est pas si claire entre «parler» et «faire». Parler, ou disons communiquer, c'est justement faire quelque chose.
Lorsque j'ai fondé le QL il y a plus de sept ans, mon but était justement d'éviter de faire des débats pointus entre libertariens (nous n'étions qu'une poignée de toute façon) et au contraire de faire un magazine accessible à tous qui analyserait l'actualité d'un point de vue libertarien et qui s'adresserait à quiconque s'intéresse aux débats d'idées. Prêcher aux convertis n'a jamais été notre objectif. Et ça a marché. M. Texier raconte qu'il a découvert les idées libertariennes en lisant les pages du QL. Des milliers d'autres Québécois, et des gens d'un peu partout, francophones et anglophones, ont vécu la même expérience. Soit en découvrant une philosophie qu'ils partageaient déjà implicitement, soit en étant tranquillement convertis par nos arguments.
Aujourd'hui, quand je vois tous ces jeunes (jeunes hommes surtout, les jeunes femmes sont malheureusement plus rares et s'expriment peu) qui nous écrivent, j'ai l'impression qu'il y a une «génération QL» en train d'émerger. Des jeunes comme Steve Radermaker justement, qui a lancé ce débat. Il y a sept ans, c'était le désert. Presque personne ne savait ce que signifiait le mot «libertarien», et beaucoup croyaient que nous étions un magazine séparatiste parce qu'ils ne comprenaient pas le jeu de mot dans le titre. Je me décourageais parfois quand nous ne recevions aucun message de qui que ce soit pendant plus d'une semaine. Aujourd'hui, nous recevons de nombreux messages tous les jours, au point où j'ai de la difficulté à répondre au courrier.
Disséminer ces idées, faire en sorte que de plus en plus de gens les comprennent et les partagent, voilà la clé de l'engagement, quel qu'il soit. Les changements viendront lorsque nos idées seront largement répandues et que nous aurons une influence directe sur les débats. C'est pourquoi, comme je l'ai écrit à plusieurs reprises sur le QL, je considère que l'engagement politique est une perte de temps. La politique, c'est le monde des compromissions, parce que le but est de plaire au plus grand nombre possible afin d'obtenir le pouvoir. Les idées sont secondaires. Vous pouvez passer des milliers d'heures pendant des années à militer, puis une décision du chef ou une résolution adoptée lors d'un congrès vient renverser tout ce pourquoi vous vous êtes battus. M. Texier propose de voter pour le moins pire. Mais c'est quoi au juste? Aux États-unis, on aurait pu croire que le moins pire en 2000 était Bush, contre Gore le socialiste et l'écocatastrophiste. Mais en plus de ses sales petites guerres inutiles, Bush est le président le plus dépensier et celui qui a le plus faire grossir l'État depuis les années 1960.
J'ai voté pour le PLQ pour une seule raison aux dernières élections, parce que je croyais vraiment que nous aurions des baisses d'impôt, même si pour le reste les libéraux sont des girouettes sans aucun principe ni idée clairs. L'ADQ me semblait être un parti encore plus confus, et qui rejette la nécessité de réduire le fardeau fiscal. Et qu'est-ce qu'on aura en fin de compte avec les libéraux? Des hausses d'impôt! Et une gestion pourrie - aussi interventionniste en fin de compte que celle du PQ - que tous les groupes gauchistes attaquent pourtant comme étant «néolibérale». Les libéraux non seulement ne réduisent pas la taille de l'État, mais ils discréditent les idées de libre marché. À quoi ça nous avance d'élire des moins pires de la sorte?
S'impliquer dans des partis signifie qu'on croit encore que la solution viendra du politique, des politiciens, alors que CE SONT JUSTEMENT EUX LE PROBLÈME. Mais nous sommes complètement brainwashés, depuis des décennies, à croire que toute solution vient de l'État. Au lieu de perdre son temps dans ces entreprises irrationnelles que sont les partis, il y aurait des tas de choses plus pertinentes à faire. Mettre sur pied par exemple une véritable association de défense de la liberté individuelle, qui interviendrait dans les débats et ferait contrepoids à l'influence des syndicats et des groupes de parasites gauchistes. Ça prend des entrepreneurs, des organisateurs, des gens prêts à se dévouer et à faire certains sacrifices, pour mettre sur pied une telle organisation. Mais entre passer des milliers d'heures à militer dans un parti pour peut-être ne rien obtenir en bout de ligne, et des milliers d'heures dans une organisation avec une mission plus cohérente et pertinente, il me semble qu'il y a un choix clair à faire.
Mon souhait le plus immédiat, en termes de stratégie, serait de voir tous ces nouveaux collaborateurs du QL et du Blogue devenir des spécialistes dans un ou deux domaines, qui pourraient ainsi devenir des commentateurs crédibles pour le mouvement libertarien. La spécialisation des tâches est un processus économique important, même dans la diffusion des idées. Nous sommes plusieurs à écrire sur tout et rien, même si certains ont des sujets favoris (comme G2 qui écrit sur la culture et les communications, ou André Dorais, sur les questions monétaires). Mais j'aimerais voir un collaborateur nous tenir au fait de ce qui se passe dans le milieu de l'éducation, un autre nous écrire régulièrement sur les déboires de l'administration municipale montréalaise, d'autres écrire sur les questions juridiques, l'agriculture, les enjeux qui découlent des nouvelles technologies, l'environnement, la fiscalité, et quoi encore. Voilà qui nous donnerait une crédibilité encore plus grande, et qui aiderait encore plus à la diffusion de nos idées dans différents milieux.
La demande est de plus en plus grande pour une perspective différente de celle qui domine tous les débats au Québec depuis 40 ans. Les médias s'intéressent tranquillement de plus en plus à nous. Si nous avions des porte-parole crédibles sur différents sujets, qui pourraient faire des entrevues, écrire des articles d'opinion dans les journaux, l'impact serait infiniment plus grand que si nous avions quelques militants de plus sur un comité d'un parti quelconque. Dans ce débat sur ce que doivent faire les libertariens pour prendre leur place, il faut toujours garder en tête une chose cruciale: nous n'avancerons pas en gagnant des votes, mais en gagnant des esprits.
M2