Difficile de prévoir les conséquences du jugement de la Cour suprême condamnant le monopole public de l'assurance maladie au Québec. Je crains que le gouvernement provincial ne recoure à une clause dérogatoire pour s'y soustraire. À tout le moins, ce jugement aura le mérite de provoquer un débat salutaire à propos de notre système en faillite. Je suis outrée d'entendre aujourd'hui des gens réclamer coûte que coûte le maintien du système actuel. Il suffit de passer trois jours dans le corridor bondé d'une urgence équipée d'une toilette digne d'un taudis pour comprendre que quelque chose ne tourne pas rond. Dans ce No man's land baptisé «Le Corridor du Peuple» par les brancardiers, on m'appelait «Numéro 20» pour m'identifier. C'était le numéro inscrit sur le mur du corridor au-dessus de ma civière.
On se serait cru en URSS, et la comparaison est à peine exagérée. Tout le monde se rappelle que le système étatisé soviétique créait des pénuries et des files d'attente devant les épiceries. Il n'est pas étonnant de constater le même phénomène dans les soins de santé ici. Nous avons un système de santé qui n'est pas économiquement viable et voué à la faillite à plus ou moins long terme. Après des décennies d'expérimentation force est d'admettre qu'il faudrait essayer autre chose. Et c'est urgent, parce qu'il y a des gens qui souffrent de ce système, et des gens qui en meurent. Carrément. Il faut voir les choses en face.
Je suis étonnée d'entendre aujourd'hui des gens pris de panique à l'idée d'une réforme nécessaire. Il y a des dizaines de pays européens dont nous pouvons nous inspirer pour jeter les bases d'un système de santé qui garantirait un réel accès aux soins. Dans une région reculée de la France, pays possédant un système mixte, un médecin s'est déplacé pour venir me soigner à la maison vers 2 heures du matin. Impensable ici, à cause de diverses mesures aux effets pervers qui découragent ce genre de pratique. Et devinez quoi? C'est mon assurance maladie privée pour le voyage qui a payé. L'assurance a versé au médecin 80 dollars pour cette visite à domicile nocturne, des honoraires qui n'ont rien d'excessif compte tenu de la distance qu'il avait à parcourir.
Là où je veux en venir, c'est qu'il existe de nombreuses avenues de réforme pour pallier à la crise actuelle du système, et que toutes garantissent que personne ne mourra dans la rue. Il faut réformer de toute urgence ce système défaillant. Refuser de le faire serait, et je le dis en pesant mes mots, cruel pour les malades. En attendant, je me réjouis profondément de ce jugement qui représente pour moi un réel espoir de voir ma situation s'améliorer en tant que patiente, une première lueur d'espoir en 15 ans.
En juin dernier, j'ai eu la chance d'exprimer en personne ma gratitude et mon appui au docteur Chaouilli pour le combat juridique qu'il menait. J'aimerais encore aujourd'hui saluer sa détermination et le remercier pour tous les sacrifices personnels qu'il a dû faire pour mener sa lutte jusqu'en Cour suprême.
Claire Joly