Les partisans de l'étatisme, de droite comme de gauche, n'aiment pas se faire rappeler les origines et les accointances peu recommandables de leurs idéologies. Soulevez un lien quelconque entre une politique contemporaine et Hitler ou Staline, et on vous accuse immédiatement de faire de la démagogie et de comparer des choses qui n'ont rien à voir. Le silence, l'ignorance et l'oubli jouent un rôle central dans l'histoire intellectuelle. Au Québec par exemple, pratiquement personne ne semble connaître la filiation directe entre les politiques social-démocrates bon teint qui font presque l'unanimité aujourd'hui au sein des élites intellectuelles et politiques, et l'idéologie corporatiste teintée de fascisme qui a connu ses heures de gloire dans les années 1930.
En Allemagne même, ces liens sont encore plus directs, mais le silence, l'ignorance et l'oubli ont été tout aussi dominants jusqu'à très récemment. Dans un récent article du Wall Street Journal (7 juin), un écrivain allemand, Gotz Aly, rappelle que malgré les différences entre les régimes de l'est et de l'ouest,
les politiques sociales des deux États qui ont succédé au 3e Reich avaient une fondation commune: l'idéologie de la «communauté nationale» popularisée par le régime nazi. Hitler n'a pas réussi à maintenir les bonnes relations notoires entre le peuple allemand et ses dirigeants simplement, ou même principalement, en faisant des discours violemment antisémites. Dès le début, il a utilisé les méthodes familières pour acheter l'assentiment des gens par des programmes sociaux. Par exemple, en pleine période de guerre, il a augmenté les pensions de vieillesse de 15%, et dès 1939, il s'est assuré que les soldats allemands et leurs familles recevraient des salaires et des chèques d'allocation familiale deux fois plus élevés que ceux des soldats britanniques et américains et de leurs familles. De plus, les allocations pour les familles avec enfants ont augmenté, durant les quatre premières années de la guerre, d'un incroyable 400%. Pendant longtemps, personne n'a parlé de ces racines de l'État-providence allemand et de notre mentalité.
Répétons-le pour ceux qui ne le savent pas encore: nazi signifie «national-socialiste». Les nazis étaient des socialistes, des partisans d'une idéologie collectiviste totalitaire, exactement comme les communistes. Leurs idéologies se ressemblaient sur bien des points. Et comme le note Gotz Aly, la social-démocratie de l'Allemagne de l'Ouest était elle-même en continuité avec l'État- providence mis en place par les nazis.
Au Québec aujourd'hui, les nationalo-étatistes qui dominent la politique et les débats intellectuels non seulement sont trop crétins pour savoir qu'ils ne font qu'ânonner les slogans corporatistes des années 1930, mais croient se démarquer de façon absolue de ces deux mouvements totalitaires. Leur rejet du libéralisme et le paternalisme d'État dont ils nous abreuvent ont pourtant exactement les mêmes fondements philosophiques. L'État québécois intervient autant dans l'économie et dans tous les aspects de nos vies que le faisait l'État nazi. La seule différence est qu'ici, on n'élimine pas physiquement ceux qui contestent le pouvoir. Une grosse différence dont il faut sans doute être très fier.