Je suis personnellement pour le droit à l'avortement, mais pas pour le droit à l'avortement subventionné par l'État. Je n'ai aussi aucun problème à entendre l'opinion de ceux qui sont contre l'avortement, et je trouve que l'article de M. Grunert a sa place dans le QL. Sauf pour un paragraphe, qui est à mes yeux inacceptable. Il s'agit de la note à la toute fin de l'article où M. Grunert affirme que même dans le cas d'un viol, une femme devra poursuivre sa grossesse (c'est-à-dire hypothéquer son corps pendant neuf mois à cause d'un criminel).
Mener une grossesse à terme n'est pas une mince affaire. Si l'avortement peut engendrer, comme le note M. Grunert, des «traumatismes graves chez la mère, un sentiment de tristesse confuse chez les proches et un scandale moral pour d'autres», combien plus une femme qui doit consacrer neuf mois de sa vie à parachever l'oeuvre du viol dont elle a été victime! Et je n'ose pas penser aux conséquences pour une jeune fille de 12 ans.
Laissons de côté le cas spécial du viol, et supposons que l'avortement est réellement un crime. Cela veut dire qu'une femme qui consomme de l'alcool ou fume durant sa grossesse commet aussi un crime, car elle s'attaque à la santé de son embryon. Après tout, si on peut être accusé d'avoir assassiné un foetus, on peut également être accusé de l'avoir blessé. De même, une femme qui fait une fausse couche suite à un exercice physique non recommandé durant une grossesse (comme le saut en bungee, par exemple) pourrait être poursuivie pour «négligence criminelle ayant causé la mort».
Il en découle que chaque femme enceinte devrait être rigoureusement surveillée afin qu'elle ne puisse commettre aucun «crime» contre son foetus. Un organisme de protection des embryons pourrait se charger de ce travail: prises de sang, examens médicaux à répétition, etc., le tout évidemment obligatoire. Afin de jouer efficacement son rôle, l'organisme devra posséder une liste précise de toutes les femmes enceintes. Le seul moyen de maintenir cette liste serait de faire passer des tests de grossesse obligatoires à toutes les femmes en état de procréer (au moins 4 à 8 fois par années, pour être certain qu'aucune ne s'en échappe!).
De plus, pour s'assurer qu'aucune femme enceinte ne s'adonne à une activité potentiellement nocive pour son foetus, l'organisme de protection des embryons aurait le droit de mener des perquisitions sans préavis au domicile de chaque femme enceinte. J'imagine déjà le rapport d'un agent: «Le 14 août 2005, à 21h45, nous avons mené une visite surprise à la résidence de Madame Lise Grenier, enceinte de 32 semaines. Nous l'avons surpris en train de manger du sushi, aliment qui peut être nocif pour un foetus. Nous avons immédiatement procédé à son arrestation. Elle sera séquestrée dans un centre médical jusqu'à la naissance de son enfant. De plus, le propriétaire de l'épicerie qui lui a vendu le sushi (en sachant très bien que Mme Grenier était enceinte et qu'elle allait manger de ce produit), a été arrêté pour complicité dans le but de s'attaquer à un embryon.»
Si vous vous demandez ce que feront les fonctionnaires dans une société libertarienne, telle que rêvée par M. Grunert, vous en avez une bonne idée ici! Si un État libertarien (via une agence gouvernementale, des organismes ou des compagnies privées) a l'obligation d'assurer la survie de chaque embryon, il est logique que cet État devra aussi assurer la survie de chaque humain adulte. Ce qui revient à dire que toute personne a le droit à des soins médicaux gratuits, à de la nourriture et à tout ce qui est nécessaire à sa survie - indépendamment du fait qu'il ait souscrit à une assurance ou qu'il ait payé ou non ses taxes. On revient alors à la case départ: un État socialiste qui prend en charge la vie de chaque citoyen.
Martin Baril-Deschamps