Je ne connaissais absolument rien à l'histoire du Québec avant de lire un article de Martin Masse dans le QL. Je croyais comme tout le monde que le Québec avait été une société agricole sous le joug de l'Église jusqu'à la Révolution tranquille, dans les années 1960. On m'avait enseigné que cette Révolution tranquille ― période caractérisée par une gigantesque croissance de l'État provincial ― avait propulsé le Québec dans la modernité. Or, la plupart des historiens québécois rejettent cette thèse, études bien documentées à l'appui! Il s'agirait d'une idée construite par des sociologues cherchant à donner un sens aux événements qu'ils observaient à l'époque. Incompétence ou révisionnisme? Toujours est-il que cette fiction est vite devenue l'histoire officielle. Elle est encore enseignée dans les écoles aujourd'hui.
Le professeur Jacques Rouillard, du département d'histoire de l'Université de Montréal, a écrit un article résumant bien les études qui infirment la thèse des sociologues (Revue d'études canadiennes, hiver 1998). À la veille de la Révolution tranquille, le Québec n'a rien d'une société sous-développée. La moitié des francophones occupent un emploi... dans le secteur des services! Dès 1931, le recensement montre que peu de gens vivaient encore de l'agriculture et que les 2/3 de la main-d'oeuvre travaillaient dans le secteur secondaire (manufacturier) ou tertiaire (services). L'industrie manufacturière avait toujours crû ici au même rythme qu'en Ontario, et ce depuis la Confédération. Durant tout le 20e siècle, la proportion de travailleurs québécois oeuvrant dans le secteur industriel est comparable aux proportions observées aux États-Unis et dans plusieurs pays européens.
On ne constate pas non plus de retard d'urbanisation dans la province. La migration vers les villes se fait à un rythme régulier depuis la fin du 19e siècle. Le Québec affiche même un taux d'urbanisation supérieur à celui l'Ontario de 1900 jusqu'à la 2e Guerre mondiale, et allait se maintenir au-dessus de la moyenne canadienne par la suite (pour un seuil d'urbanisation de 10 000 habitants).
La société québécoise d'avant la Révolution tranquille comptait aussi de nombreux entrepreneurs francophones dans le domaine industriel et commercial. Ils faisaient partie de l'élite au même titre que les médecins, notaires ou prêtres, mais on semble les avoir complètement oubliés aujourd'hui. Ces entrepreneurs étaient maîtres du développement économique local et régional. Dès le 19e siècle, ils se dotent d'institutions financières soutenant l'essor économique régional: banques, sociétés de fiducie, compagnies d'assurance. Les chambres de commerce foisonnent et se regroupent en fédération provinciale dès 1909. En 1935, elle comptait 49 chambres affiliées. La bourgeoisie d'affaires francophone exerçait une réelle influence dans la sphère publique et est parvenue à faire contrepoids au conservatisme de l'Église. Elle faisait la promotion du développement industriel et de l'esprit d'entreprise auprès des francophones.
Il semblerait donc que les francophones du Québec n'ont jamais eu la mentalité des «nés pour un petit pain», et pour cause. En 1953, le Québec affichait le deuxième revenu par habitant le plus élevé au monde après les États-Unis (en excluant le reste du Canada). Avait-on réellement besoin de la Révolution tranquille et de l'intervention de l'État pour sortir les Québécois de cette prétendue «Grande Noirceur»? Absolument pas! Les Québécois s'étaient développés et modernisés par eux-mêmes, et depuis longtemps, sans l'aide de l'État.