Dans le milieu culturel québécois, une «crise» n’attend pas l’autre. Dernière en lice, la fin des séries dites «lourdes» à la télé – ces séries qui coûtent près d’un million $ l’heure à produire. La semaine dernière, le chroniqueur culturel à La Presse, Marc Cassivi, se demandait si «investir 1 million $ par épisode dans une émission qui ne permet pas à un réseau de faire ses frais, c’est vivre au-dessus de ses moyens?» Question à laquelle il répondait oui, dans le contexte actuel. Mais non, dans un contexte plus… philosophique. «Produire une série télé qui coûte un million par épisode n’est pas une décision d’affaires comme une autre, écrivait-il. Le retour sur l’investissement ne peut seulement se calculer en dollars francs.» Il faut prendre en considération le «rayonnement» de notre culture ainsi que les retombées économiques des investissements publics, notamment, en matière de création d’emplois. Ce genre d’arguments ressort constamment lorsque vient le temps de justifier une intervention de l’État dans le secteur de la culture. Il s’agit en fait de subterfuges.
Le «rayonnement» de notre culture! Mais qu’est-ce que ça veut bien vouloir dire? Un produit hautement subventionné rayonne-t-il plus qu’un produit légèrement subventionné? Une série mi-lourde rayonne-t-elle moins qu’une série lourde? Est-il plus important pour une culture de rayonner ou de plaire à un public? Rayonner où? Sur qui? Pourquoi? Mon Petit Robert ne donne rien qui vaille: 1) Lumière rayonnante, clarté. 2) Émission et propagation d’un ensemble de radiations… 3) Ensemble de radiations de nature similaires ou voisines… 4) Impression de force heureuse que dégage une personne, un organisme. Rien dans un contexte culturel. Le rayonnement semble être davantage un de ces concepts bidon qui ne sert qu’à justifier l’injection de millions de dollars par l’État dans un secteur, qu’une réalité. Une façon de mieux faire avaler la pilule aux contribuables surtaxés.
Autre concept bidon qui aide à vendre l’importance des subventions dans la culture: les retombées économiques et la création d’emplois. Qui peut-être contre ça? Sauf que ceux qui l’utilisent pour réclamer toujours plus d’investissements publics en culture omettent de dire une chose: ces millions en fonds publics, qui sont investis par exemple dans une série télé, viennent des poches des contribuables. Et si l’État les laissait dans les poches des contribuables, ils généreraient aussi des retombées économiques. Possiblement des emplois. Peut-être même qu’ils généreraient plus de retombées et d’emplois qu’ils n’en génèrent lorsqu’ils sont redistribués par l’État. Peut-être qu’ils généreraient un autre Cirque du Soleil (pas qu’on en ait nécessairement besoin!) ou un autre François Avard. Parce que ces millions $, laissés aux contribuables, seraient aussi dépensés (voir, par exemple, l'étude Les dépenses des consommateurs au chapitre de la culture en 2003, de la firme Hill Strategy Recherches Inc.)
Mais redistribuer, c’est mieux! Sans carrément écrire que l’État devrait investir plus en télé pour régler cette «crise», M. Cassivi y est allé d’un détour pour arriver à la même conclusion. L’État encourage la prise de risque en cinéma, pourquoi ne l’encourage-t-il pas plus en télé? – c’est en gros la question qu’il se posait jeudi dernier. C’est vrai, pourquoi l’État ne subventionne-t-il pas la production de blockbusters à la V for Vendetta? (Excellent film, en passant.) On pourrait collectivement financer quatre ou cinq gros films de 100 millions $ et plus par année. Ça ferait travailler tout ce qui grouille de créateurs, d’informaticiens et de techniciens au Québec tout en assurant le «rayonnement» de notre culture ici et à l’étranger! «A Win-Win Situation», comme disent les Anglais.
Eh non, ce n’est pas si simple. Si l’État québécois n’«investit» pas dans les méga-productions, c’est parce qu’il n’en a pas les moyens – et qu’il lui serait plutôt difficile de vendre l’idée aux contribuables alors qu’il y a la santé, l’éducation, le réseau routier, etc., à financer. Peut-être n’avons-nous pas plus les moyens de nous payer des téléséries lourdes! Comme la plupart des pays ou provinces. Car outres les États-Unis, à qui l’on doit les 24, Six Feet Under, Desperate Housewives ou The Sopranos, qui d’autre produit des séries lourdes? Si le secteur privé ne peut pas se payer de séries lourdes, revient-il vraiment à l’État de le faire? Avec l’argent des contribuables? N’a-t-il pas d’autres responsabilités plus fondamentales à assurer?
Qu’on laisse le secteur privé trouver de nouvelles façons de financer ses séries télé. S’il n’en trouve pas, tant pis. Les gens feront autre chose. Ils regarderont autre chose. Eh non, la terre ne cessera pas de tourner. Ni le peuple québécois ne disparaîtra. Il ne s’agit, après tout, que d’émissions de télé! D’ailleurs, on apprenait la semaine dernière que Quebecor, via le Groupe Archambault, a demandé au CRTC une nouvelle licence de télévision payante baptisée BOOM.TV pour offrir des émissions et séries dramatiques en avant-première des services de télévision conventionnels. Les séries lourdes y passeraient en première puis seraient reprises par la suite à TVA. Quebecor aurait ainsi une nouvelle façon d’aller chercher des sous, via les abonnements à la chaîne, pour financer l’achat de séries lourdes. Voilà le genre d’initiatives que l’industrie doit privilégier. Les contribuables, eux, ont assez donné.