par Martin Masse
Un criminologue de l'Université de Montréal, Benoît Dupont, croit que le débat sur les dangers de la surveillance des citoyens par l'État et de l'érosion conséquente des libertés individuelles a perdu sa pertinence. L'ère du Big Brother serait révolue, pour faire place à une armée de Little Brothers qui tirent profit du miracle technologique. C'est ce qu'il explique dans l'Entrevue du lundi du Devoir.
Le modèle de Big Brocher est pas mal dépassé. Ça fonctionnait bien dans une société où les médias les plus évolués étaient la radio et la télévision. Mais, dans une société où 60 à 70 % de la population accède à Internet de façon régulière, on ne peut plus fonctionner avec le modèle de Big Brother. Ça devient complètement désuet.
Il ne faudrait pas oublier que, maintenant, il y a de plus en plus de moyens de surveillance qui ne sont pas utilisés par l'État, mais par des citoyens et des ONG justement pour surveiller l'État. Internet a quand même changé la perspective. Oui, l'État continue à faire de la surveillance. Mais, en tant que citoyen, on peut aussi surveiller plein de choses sans avoir des ressources faramineuses, et on peut rendre l'État plus imputable.
Pour preuve que l'on peut aujourd'hui «surveiller la surveillance», M. Dupont évoque la récente bavure des policiers de la GRC à l'Aéroport de Vancouver qui ont tué un visiteur polonais agité, Robert Dziekanski, en lui administrant deux décharges de Taser. Cette histoire n'aurait sans doute pas fait les manchettes si un observateur n'avait pas filmé la scène avec sa caméra de poche, ce qui a permis de constater que M. Dziekanski était plutôt inoffensif et a confirmé que les policiers fédéraux ont déformé les faits dans une tentative de camoufler leur bavure.
Selon l'article, dans la communauté restreinte de chercheurs qui s'intéressent à ces questions, Benoît Dupont ferait partie d'un groupe encore plus restreint qui n'adhérent pas au courant alarmiste en matière de surveillance. L'Association américaine des libertés civiles a ainsi lancé l'an dernier une horloge de l'apocalypse, fixant à minuit moins cinq l'avènement d'une société de surveillance totale. C'est le genre d'initiative qui le fait sourire: «Je suis très réticent devant ce type d'approche qui nie une chose fondamentale: la capacité de résistance des êtres humains. J'ai beaucoup de mal avec l'approche catastrophiste de la société de surveillance.»
Ce propos me fait penser à la vision de l'histoire exprimée par Murray Rothbard (à la suite d'Albert Jay Nock) dans la préface du premier volume de son histoire de la colonie américaine, Conceived in Liberty:
I see history as centrally a race and conflict between "social power" - the productive consequence of voluntary interactions among men - and state power. In those eras of history when liberty - social power - has managed to race ahead of state power and control, the country and even mankind have flourished. In those eras when state power has managed to catch up with or surpass social power, mankind suffers and declines.
Les technologies de l'information vont-elles permettre de consolider le «pouvoir de la société» ou le «pouvoir de l'État»? Qui va en profiter le plus pour gagner des points dans cette course? Mon penchant optimiste me porte à croire que ce sont les individus engagés dans la coopération volontaire qui en tireront les bénéfices dans les domaines monopolistique de la santé et de l'éducation par exemple. Il est également déjà évident qu'elles permettent aux individus de mieux assurer leur sécurité contre les criminels. Contre le regard inquisiteur de l'État, je suis moins sûr…, mais la perspective offerte par Benoît Dupont rejoint la même analyse, et tant mieux si les choses évoluent dans le bon sens là aussi.
Le gros problème des médias électroniques, pour l'État, est son manque de centralisation. L'information se propage de façon virale et incontrôlée ; enlever, par exemple, l'information sur une page web, n'empêche en rien quelqu'un ayant une copie d'un blog, par exemple, dans la cache de son browser d'en faire des copies et de les envoyer aux quatre coins du monde.
Internet évolue très vite, trop vite même pour un travailleur des TI comme moi, trop vite en tous cas pour qu'on puisse en comprendre parfaitement les rouages et les impacts. On n'a qu'à se rappeler l'épsode Napster : le temps que l'État rassemble son information et comprenne le problème, bye ! La vaste majorité des utilisateurs avait déserté le réseau et téléchargeaient ailleurs.
Il faut cependant rester méfiant : l'État tend à déléguer sa soi-disant responsabilité de surveillance directement aux FAI. Comcast, aux États-Unis, a par exemple placé des restrictions pour empêcher le partage de fichiers par le protocole BitTorrent, ce qui lui a valu une très hypocrite réprimande du FCC ( http://www.theregister.co.uk/2008/04/23/kevin_martin_talks_comcast_again/ ) ; au Canada, Rogers aurait aussi été accusé de cela en 2005. De plus, certains FAI sont reconnus pour simplement modifier le contenu des pages web que vous téléchargez ! ( visitez http://vancouver.cs.washington.edu/ pour vous assurer que votre fournisseur est clean, plusieurs lien intéressants sur le sujet d'ailleurs). Tout ça, c'est sans compter sur l'information que votre système d'exploitation ou que vos logiciel "phone home" a leur fabricant.
Je suis d'accord cependant avec la conclusion de monsieur Dupont. Reste à l'internaute de rester vigilant, de s'informer et de profiter de cette liberté que lui procure le web.
Rédigé par : David Lacerte | 28 avril 2008 à 21h41
Il y une chose qui m'a toujours étonné: la référence à 1984 se fait toujours vis-à-vis les technologies de surveillance. Or, quiconque a lu ce livre peut voir qu'Orwell ne met pas du tout l'accent là-dessus. Oui, il y a le télé-écran qui nous surveille mais ce n'est pas vraiment lui le problème (Winston le déjoue assez facilement) mais bien le lavage de cerveau à grande echelle perpétré par le parti.
Les gens de gauche ont bien détourné le message de ce livre. Ils montent aux barricades pour protéger la vie privée lorsque de nouvelles technologies de surveillance se pointent et nous laissent croire que grâce à eux, Big Brother ne restera qu'un mauvais rêve. Mais Orwell n'a pas écrit 1984 pour nous prévenir contre le télé-écran mais bien pour exposer des choses plus sinistres telles que:
1) le crime par la pensée: Il est illégal dans plusieurs pays de considérer l'hypothèse que l'holocauste soit une supercherie. Il est de plus en plus mal vu de douter du réchauffement planétaire et certains écocatastrophistes (pour emprunter le terme de M. Masse) verraient d'un bon oeil une loi criminalisant ce type de discours. Un acte de violence considéré comme haineux est puni plus sévèrement que le même acte fait sans "haine". Un exemple parfait ou la pensée est punie. Mais pourtant on n'entend aucune réference à 1984 de la part de nos élites.
2) la Novlangue: En éliminant certains mots et en changeant la signification d'autres, le parti vient à contrôler la pensée même des gens qu'il gouverne. De nos jours, nous sommes en proie à une certaine version de la novlangue (quoique moins exhaustive) qu'Ayn Rand appelait les "Package deals". Il s'agit de phrases ou de slogans conçus pour réveiller en nous une réaction émotive automatique nous aidant à suivre "le droit chemin". Les phrases tel que "Capitalisme sauvage", "Changements climatiques" et "Solidarité" en sont quelques exemples. Du côté américain, on a "911 changed everything"...
3) Révision historique: De la même facon que Winston Smith révise les faits au ministère de la Vérité, les mythes tels que celui de la nation québécoise, de la révolution tranquille, des patriotes, de la syndicalisation sont constamment révisés et adaptés à la réalité du moment. Aux États-Unis, le citoyen moyen ne réalise pas que ses ancêtres auraient honte de le voir aussi assujetti à un président qui n'avait au départ pas beaucoup plus de pouvoir que notre actuelle gouverneure générale.
Il ya aussi beaucoup d'autres choses à apprendre de cette grande oeuvre de fiction qu'est 1984. Tout libertarien devrait la lire, ne serait-ce que pour s'esclaffer lorsqu'une gauchiste comme Marie-France Bazzo dit que c'est son livre favori.
Non, Big Brother n'est pas dépassé...
Rédigé par : Jean-Bernard Théard | 28 avril 2008 à 23h36
@Jean-Bernard Théard
Tout à fait en accord avec vous: les technologies (de télécommunications en particulier, ce qui justement mon 'bag') ne font aucune différence. La clef du pouvoir repose sur la capacité à dénaturer la pensée, à faire croire que la Liberté, c'est l'Esclavage, la Guerre, c'est la Paix, et que l'Ignorance, c'est la Force.
Et nouvelles technologies ou pas, le tandem politiciens-médias y réussit presque parfaitement. Il y'a trop de paramètres qui entrent en jeu dans la formulation, la communication et la réception fiable d'un message complexe pour qu'un contre-pouvoir, dans un système qui tient le totalitarisme pour moralement acceptable, puisse faire dérailler durablement les stratégies de manipulation de l'État.
Le Québec à ce sujet est presque un cas d'école: rarement on aura vu, dans une démocratie à priori aussi ouverte, un peuple participer avec une telle obligeance à la corruption de toute idée qui pourrait l'affranchir de l'esclavage orchestré par ses élites, qu'elles soient fédéralistes ou nationalistes. Le syndrôme du Québec, c'est celui de Stockholm à l'échelon de toute une société; et aucune technologie ne changera celà tant que l'esprit critique demeurera aussi rare que de la m... de pape.
Rédigé par : Pierre-Yves | 29 avril 2008 à 09h19
@David Lacerte,
Le manque de centralisation n'est absolument pas réel. Toutes les communications sont centralisées dans 3-4 gros buildings à Montréal : Bell, Vidéotron, Telus, Cogeco, etc. Toutes les communications internet passent par ces points centraux où il est très facile d'appliquer une interception de masse. Vous avez raison, la majorité du temps ce qui nous aide c'est que l'État était, historiquement, vraiment stupide sur les questions technologiques. Napster en est un bon exemple, un logiciel extrêmement facile à bloquer (suffit de fermer le port!), mais trop compliqué pour les politiciens du temps.
Le problème c'est qu'au fur et a mesure que les "vieux" quittent, les remplacants connaissent beaucoup mieux les technologies et on peut penser qu'il seront plus efficients dans leur interventionnisme (voir la Chine).
Vous notez aussi que cela se produit déjà par Comcast aux USA et Bell et Rogers au Canada. Les grosses télécom se mettent le nez dans votre Internet.
C'est quand même Jean-Bernard Théard qui met le doigt sur le vrai bobo : crime de la pensée, révision de l'histoire et novlangue. C'est là un enjeu réel dont personne ne parle.
Rédigé par : Maxime | 29 avril 2008 à 15h25
Ne sommes-nous pas à l'établissement, dans la société, des théories de la panoptique. En effet, les caméras et l'omniprésence des médias peuvent donner l'impression que tous et chacun surveillent son prochain à partir de tous les points de vue inimaginables. Plusieurs se sentent aussi obligés de rendre de comptes durant les bulletins de nouvelles. Plus encore, il me semble que les médias, nourris par les maisons de publicité ainsi que par les maisons de sondage, sont allégrement utilisés par les gouvernements pour : induire des sentiments de culpabilité, pour établir des normes, pour effrayer ceux qui agissent inconvenablement...etc. Comme le faisaient les contes depuis des temps immémoriaux...
Rédigé par : WaltA | 29 avril 2008 à 17h12
@Maxime :
Encore une fois, je mets l'accent sur la responsabilité de l'utilisateur d'assurer son propre anonymat : des technologies telles que Tor ( http://www.torproject.org/ ), quoique imparfaites, sont déjà un bon pas en avant pour assurer son anonymat - beaucoup de gens vivant dans des pays répressifs, telle la Chine, l'utilisent pour déjouer les contrôles gouvernementaux. Les techniques d'encryption simples, telles que PGP, sans être impossibles à déjouer à long terme, sont impossibles à décrypter en temps réel pour la majorité des communications. Parfaites, en tous cas, pour les communications par e-mail par exemple, ou la messagerie instantanée au quotidien.
Pour ce qui est crimes de la pensée, vous avez bien raison, c'est un problème de société que chacun d'entre nous se doit de dénoncer.
Rédigé par : David Lacerte | 29 avril 2008 à 19h18
Hmm..
Ma vision sur la chose, c'est que la masse d'informations est trop grande pour surveiller tout le monde mais que l'enregistrement permet de trouver bien des choses APRÈS le fait.
Par exemple, l'Angleterre est LE pays ou les citoyens sont hautement surveillés par camera ; le londonien moyen passe devant 300 cameras dans une journée. Si j'ai bon souvenir, la derniere attaque n'a PAS été prevenu par les cameras, mais elle a permis de retracer les coupables extremement vite en fouillant dans les banques videos des cameras autour de la scene (c'etait une voiture piégée)..
Un autre exemple qui me viens à l'esprit viens des dernieres "emeutes" qui se sont produit après la victoire des Canadiens; la PREMIÈRE action des autorités policieres après les evenements a été de faire un raid en règle des videos faites par les journalistes (chose que je consideres dangereuse, les emeutiers pourraient bien voir un jour en les journalistes, les pions de la police, ce qui serait une menace serieuse pour ceux-ci) dans les differents reseaux d,informations.
Un autre point de vue interessant, c'est que si les autorités ne peuvent surveiller tout le monde à la trace en temps reel, si vous tomber dans le colimateur des autorités, ils peuvent en theorie avoir acces a une foule de technologie pour suivre à la trace ou trouver des "preuves" assez facilement. Ce n'est pas pour rien que la premiere chose que les policiers confisquent en faisant une perquisition, c'est l'ordinateur d'un "suspect".
C'est juste trop tentant pour eux..même si rien de relatif a l'enquete est trouver, il est possible de reconstituer les habitudes de surf sur internet très facilement et y trouver des "points faibles" pour trouver un point d'appuie sur quelqu'un, pour forcer sa colaboration, même si rien d'illegal n'est fait.
Par exemple, si la personne a un faible pour des videos SM, une petite phrase dans le genre "r'garde..tu veux qu'on montre ca a ta femme..?"..
Suis-je paranoiaque :D !??
Rédigé par : Mattiew | 30 avril 2008 à 07h42
J'ai adoré 1984 en terme d'expression de ce que l'État est à son pur "état"; en d'autres mots, ce qu'il voudrait ou pourrait faire s'il était capable de suspendre les lois de l'économie.
Dans la réalité, un système socialiste aussi exarcerbé n'est pas économiquement viable donc possible, selon moi. Le capital se sauvera toujours d'un tel pays, pour aller se réfugier dans un pays moins "Big Brother" (pas de taxes domestiques qui rentrent, donc pas d'intérêt pour les politiciens de se lancer en politique).
La seule solution est alors la subvention étrangère, ce qui ne tiendra pas très longtemps non plus.
Rédigé par : FrancisD | 30 avril 2008 à 18h38
Pour continuer dans la lignée de Mattiew, plusieurs ont eu la (brillante?) idée de filmer l'émeute avec leurs portables, et ensuite de tout envoyer aux cochons... et de faire leur travail à leur place. Jusque où est-il dangereux pour un simple citoyen de faire le travail de la police? Est-ce que les gens vont cesser de se comporter en rapporteurs un jour? (Quoique je n'approuve pas le saccage, mais les pions me tapent sur les rognons...)
Rédigé par : Carl-Stéphane Huot | 30 avril 2008 à 19h28
@Carl-Stéphane Huot
Ces "pions" ont cru faire leur devoir de citoyen, je crois. Libre à vous d'approuver ou pas, mais dans la mesure ou ces gens ont filmé la scène dans l'intention de le rapporter aux policiers, et non pas de poster le tout sur YouTube et d'en faire la promotion sur leur Facebook pour avoir plus de copains là-bas, je trouve l'intention louable. Si quelqu'un était témoin d'un autre genre de crime, d'un meurtre, d'un viol, d'un vol à main armée, serait-il donc un "pion" d'aller rapporter ce qu'il a vu et entendu ?
Le jour où la police forcera de simples citoyens à effectuer ce genre de surveillance, on en reparlera : en attendant, je juge que ce qu'ils ont fait est responsable.
Rédigé par : David Lacerte | 30 avril 2008 à 22h00
Je suis persuadé qu'avec le Web 2.0 (blogues, Youtube, Facebook, Digg, podcasts et radios internet, etc) il n'y aura plus jamais de guerres comme en Irak; basées sur des mensonges.
Les gens sont de plus en plus cyniques face à l'État et ça parrait...
Et ce n'est que le début, la Tv par internet arrive à grand pas!
Ne serait-ce que pour le Net, oui il y a de quoi être optimiste!
Rédigé par : Martin | 07 mai 2008 à 20h20