Ayant travaillé deux ans il y a plusieurs années dans l'industrie de la transformation alimentaire, j'ai suivi avec intérêt ces dernières semaines la fameuse crise de la listériose, qui aura finalement causé 17 décès au Canada chez des personnes fortement diminuées physiquement. Les Aliments Maple Leaf, dont l'usine de Toronto a été à la source de la contamination, se sont retrouvés au cœur d'un débat sur la pertinence de contrôles plus stricts et de l'embauche massive de nouveaux inspecteurs, sans que l'on puisse affirmer scientifiquement que ces nouveaux règlements et inspecteurs permettront réellement de réduire les risques pour les consommateurs.
Maple Leaf est l'une des principales entreprises canadiennes de transformation alimentaire. Comme bon nombre d'autres entreprises, elle a adopté voici plusieurs années le système de gestion des risques alimentaires HACCP, le code le plus élevé en la matière. Cette gestion impose entre autres la séparation stricte des différentes étapes de la transformation alimentaire, en plus de normes d'hygiène très restrictives et de la formation assez poussée du personnel. Et pourtant, malgré tout cela, la contamination a eu lieu.
L'Agence canadienne d'inspection des aliments (en plus du MAPAQ, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, au Québec) dépêche des inspecteurs dans les usines qui vérifient régulièrement l'application des règlements, en plus d'avoir un pouvoir discrétionnaire pour imposer de nouvelles normes s'ils en constatent le besoin. (Essentiellement quand ils ne trouvent rien à reprocher à une usine qu'ils viennent de visiter, afin d'éviter de donner une note parfaite à celle-ci.)
Actuellement, un inspecteur est affecté à seulement deux usines. Pourtant, ceux-ci ne passent guère plus de 5 minutes par deux ou trois semaines à observer chaque poste de travail, en plus de passer environ 2 jours par semaine avec la personne responsable de l'application des normes d'hygiène dans l'usine. (Pourquoi d'ailleurs, quand on sait que les normes changent relativement peu d'une année à l'autre? Je n'ai jamais eu de réponse à cette question.) Est-ce que le doublement des inspecteurs, comme le proposent actuellement certains partis en campagne, va changer grand-chose à cela?
Même en présumant que le gouvernement a un rôle important à jouer en santé publique, est-ce que les nouvelles sommes investies vont l'être judicieusement et vont faire réellement baisser davantage le nombre de personnes malades que d'autres types d'interventions peut-être moins coûteuses? Encore une fois, on peut voir à quel point nos politiciens sont prompts à sauter sur la première intervention spectaculaire venue sans grande analyse préalable. Évidemment, la présente campagne électorale est du pain béni pour le syndicat des inspecteurs alimentaires, mais tout de même.
Curieusement, l'industrie alimentaire est pour très peu dans les infections qui surviennent au Canada. En fouillant à gauche et à droit sur Internet, on découvre qu'entre 1 et 2 millions (?) de personnes par année souffriraient d'une toxi-infection alimentaire au Canada. Or, compte tenu que les médias couvrent pratiquement tous les cas d'infection causées par l'industrie alimentaire - l'horreur qui fait irruption dans le quotidien des gens est du bonbon sensationnaliste pour eux - on peut affirmer que le nombre de cas réellement dus à l'industrie ne s'élève guère qu'à une centaine par an, la plupart étant heureusement non mortels. L'essentiel du risque provient en fait des consommateurs, qui ne font pas suffisamment attention lors de la préparation et la cuisson de leurs aliments.
(Cependant, au MAPAQ, on compte la chose différemment: quand quelqu'un appelle pour se plaindre d'avoir été infecté par tel ou tel restaurant ou industrie par exemple, les inspecteurs qui sont alors envoyés tiennent pour acquis que c'est le commerce ou l'industrie qui a réellement intoxiqué la personne, peu importe si on y a trouvé la bactérie pathogène ou non. Cela fait gonfler leurs statistiques de méchantes entreprises, et augmente l'utilité des inspecteurs.)
La listeria, comme bien d'autres bactéries, est omniprésente dans notre environnement. Il arrivera toujours quelques accidents. Malgré cela, nous pouvons, je pense, nous fier aux compagnies canadiennes de transformation des aliments, qui ont tout intérêt à vendre des produits sécuritaires si elles veulent garder leur réputation, leurs clientèles et leurs parts de marché. Les politiciens, eux, ont surtout intérêt à se donner de l'importance et du pouvoir. Et il est peu probable que les nouveaux inspecteurs et règlements que les partis fédéraux semblent prêts à mettre en place changent quoi que ce soit au risque réel de contamination par l'industrie.
Parler de la listériose permet aussi aux pouvoirs publics de détourner l'attention des vrais problèmes - en particulier économiques. C'est une vieille recette : parler de sujets futiles pour occuper l'esprit du peuple qui pendant ce temps ne demande pas de comptes sur ce qui l'implique vraiment sur le long terme.
Rédigé par : marianne | 20 septembre 2008 à 22h48
Et si on se remettait à acheter du Maple Leaf comme avant pour envoyer paitre ces pseudo-inspecteurs réactionnaires aux plaintes et pour prouver aux pelleteux de scandales des médias que la population en générale ne se laissera pas intimider par des peurologues au service de l'état.
Rédigé par : Tym Machine | 25 septembre 2008 à 16h14