par Martin Masse
En réaction à mon entrevue sur les ondes de RadioPirate, un lecteur, Pierres-Yves, commente mes explications sur la crise d'un point de vue autrichien: «cela me semble tellement intuitivement évident, que je ne comprends pas pour quoi les gens ont tellement de misère à le comprendre».
Justement!!! Pour 99% des économistes patentés, autant socio-démocrates qu'en faveur du libre marché, qui ont été formés dans nos universités, l'économie autrichienne, ce n'est pas de l'économie, c'est de la «philosophie» (dit sur un ton dédaigneux), de la «littérature», ou pire. Quelque chose de si évident et facile à comprendre pour le commun des mortels ne peut pas être sérieux ni «scientifique». Ils n'en parlent donc pas — la plupart en ont de toute façon eux-mêmes à peine entendu parler — et personne au sein du grand public n'est au courant que cette explication existe. Le problème n'est pas que les gens ont de la difficulté à comprendre, mais bien que personne ne cherche à leur expliquer.
Outre les divergences de méthodologie et d'idéologie, on peut analyser ce phénomène du total désintérêt de la profession envers l'économie autrichienne en la considérant comme n'importe quel groupe corporatiste qui cherche à protéger ses intérêts.
Les économistes étaient traditionnellement des penseurs qui tentaient de comprendre le fonctionnement de la société. À partir de la fin du 19e siècle (l'ère «progressiste» aux États-Unis, de 1890 à 1920, la première période importante de croissance de l'État), puis durant le New Deal, les économistes sont devenus des techniciens et des technocrates. Roosevelt en a engagé des milliers pour travailler comme fonctionnaires, régulateurs et planificateurs dans son État en pleine croissance, de la même façon que Staline en Union soviétique. Les entreprises, syndicats, et groupes de pression, de plus en plus réglementés en plus de chercher eux-mêmes à orienter les décisions de l'État, ont fait de même pour gérer cette nouvelle réalité bureaucratisée.
La science économique universitaire est conséquemment devenue une technique quantitative, où l'on travaille avec des modèles abstraits qui examinent différentes hypothèses en tenant compte d'un type ou un autre d'intervention de l'État dans l'économie. Pour augmenter les barrières à l'entrée dans leur profession, et accroître ainsi la valeur de leur savoir, les économistes avaient également une incitation à en faire une discipline ésotérique, impossible à comprendre sans maîtriser le jargon et surtout les mathématiques très abstruses. Nos «experts» occupent ainsi tout le terrain et n'ont plus à souffrir de la concurrence de qui que ce soit lorsqu'ils conseillent le prince.
Il n'ont par ailleurs aucune incitation (un économiste comprend certainement au moins cela, les incitations!) à se pencher sur les enseignements de l'école autrichienne, qui leur diraient que toute intervention de l'État est néfaste, que l'État n'a pas besoin d'employer des milliers d'économistes, et que la presque totalité des recherches faites en science économique (qui ne se font que grâce aux subventions de l'État) ne sont que de la bouillie pour les chats. On peut les comprendre.
Comme je l'écrivais il y a quelques mois, alors que les Autrichiens discutaient depuis longtemps de la question, aucun répondant à un sondage périodique auprès des économistes professionnels aux États-Unis en mars 2007 ne voyait venir la crise des subprimes. On parle bien ici du plus important événement économique à survenir depuis plusieurs décennies. Et la presque totalité des économistes n'ont rien vu venir. La presque totalité aujourd'hui n'y comprennent rien, et seraient incapables de l'expliquer. C'est pourquoi il revient bizarrement à moi, un non-économiste de formation (même si j'ai travaillé des années à l'Institut économique de Montréal), d'écrire et de faire des entrevues là-dessus. Demain, le National Post publiera ce qui sera probablement la première analyse de la crise dans une perspective autrichienne à paraître dans un grand quotidien au Canada. Alors que les milliers de tatas qui ont étudié des années pour présumément comprendre ce genre de phénomène ne nous sont d'aucune aide! C'est proprement délirant!!!
Ce sont des experts de la sorte travaillant dans des institutions financières qui ont par exemple conçu les titres dérivés très complexes qui sont au cœur de la crise des supbrimes. Selon leurs modèles, les risques étaient tout à fait bien dispersés et sous contrôle, et rien ne pouvait survenir à part des bénéfices pour tout le monde. Évidemment, aucun de ces charlatans n'a la moindre compréhension ni le moindre point de vue critique sur l'action de la Fed. Ça ne fait pas partie des sujets intéressants dans les départements d'économie. C'est un sujet «réglé» depuis longtemps et on n'en parle presque pas. D'ailleurs, n'y a-t-il pas de brillants économistes dans toutes les banques centrales pour s'assurer que la politique monétaire est gérée selon les modèles les plus sophistiqués? Nous sommes entre bonnes mains!
La profession économique telle qu'on la connaît aujourd'hui n'a aucune autre raison d'être à part être au service de l'étatisme. Si nous avions un État minimal, nous pourrions nous passer de 99% des économistes «professionnels», tout comme de 99% des comptables qui s'occupent de nos déclarations d'impôt. Un bienfait de cette crise sera de nous avoir permis de constater à quel point la science économique est corrompue et à quel point ses praticiens sont totalement inutiles, au moment où l'on aurait le plus besoin d'eux. Il est temps de se réapproprier la science économique, la véritable science économique, celle de l'école autrichienne. Celle-là en plus, tout le monde peut la comprendre.
"I have found, over a long time, that some people are natural economists. They don't take a course, but they understand--the principles seem obvious to them. Other people may have Ph.D.s in economics, but they're not economists. They don't think like an economist. Strange, but true."
-Milton Friedman , 4 mois avant son décès...
Rédigé par : David Gagnon | 30 septembre 2008 à 00h02
"Quelque chose de si évident et facile à comprendre pour le commun des mortels ne peut pas être sérieux ni «scientifique»."
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.
D'ailleurs, il est curieux de constater que la plupart des économistes qui graduent avec des doctorats en économie de nos universités travaillent pour le gouvernement et par conséquent, à moins qu'ils ne soient suicidaires et ne cherchent aucunement à protéger leur job sont tous pro-étatistes et pro-interventionnistes.
En connaissez-vous beaucoup des économistes qui travaillent pour le privé au Canada et peuvent vivre décemment de leur "art"?
Rédigé par : Tym Machine | 30 septembre 2008 à 00h23
La seule chose en économie que je n'arrive pas à comprendre est comment un homme peut se dire économiste, et encore adhérer aux théories socialistes après la chute de l'Union Soviétique...
Incompréhensible!
Rédigé par : Philippe David | 30 septembre 2008 à 08h07
@Tym Machine
"En connaissez-vous beaucoup des économistes qui travaillent pour le privé au Canada et peuvent vivre décemment de leur "art" ?"
-Il y en a qquns mais ce sont généralement des secteurs privés assez de conivence avec le gouvernement. P.E On retrouve des économistes travaillant dans les banques et gagnant bien leur vie.
Rédigé par : steven | 30 septembre 2008 à 09h27
J'aimerais remercier l'auteur de cet article pour sa perspicacité. Pourriez vous m'indiquer quels sont les ouvrages les plus importants à lire pour se documenter sur la "pensée" autrichienne. Y en a t-il des récents car j'ai du mal à trouver des ouvrages écrits par M. Hayek, bizarre quand on sait que c'est peut être le plus grand économiste de tous les temps.
Rédigé par : Alexandre Dibon | 17 octobre 2008 à 04h08
@Alexandre
Bonjour Alexandre. Pour trouvez des articles récents et/ou livres sur la pensée autrichienne, je vous suggère le site www.mises.org. C'est le "think tank" de l'école autrichienne. Ça ne fait que quelques mois que je m'intéresse à la pensée autrichienne et se site m'éduque bcp. Je me suis également commandé des livres de là récemment.
Rédigé par : Steven | 17 octobre 2008 à 06h59
Merci beaucoup Steven pour ces précisions je vais y faire un tour tout de suite.
Rédigé par : Alexandre | 17 octobre 2008 à 07h09