par Martin Masse
L'ex-gouverneur de la Banque du Japon de 1998 à 2003, Masaru Hayami, est décédé à Kobe à l'âge de 84 ans. C'est sous sa gouverne que le monopole bureaucratique sur la création de monnaie (communément appelé «banque centrale») d'un pays développé a, pour la première fois, imposé des taux d'intérêt à zéro.
Une telle politique est la négation totale de l'un des fondements du comportement humain, la préférence temporelle, ou préférence habituelle pour l'obtention d'une gratification quelconque à un moment rapproché plutôt qu'éloigné. Concrètement, cela signifie que plus une gratification est loin dans le temps, moins sa valeur actualisée (sa valeur calculée aujourd'hui) est élevée, et que reporter une gratification à plus tard entraîne nécessairement un coût.
C'est pourquoi en prêtant de l'argent (qu'il est conséquemment impossible d'utiliser pour obtenir une gratification avant qu'on soit remboursé), on exige un intérêt - c'est le coût du temps qui va passer avant qu'on puisse l'utiliser, et pas vraiment le prix de l'argent lui-même comme on le croit communément. Inversement, lorsqu'on emprunte pour avoir la possibilité de jouir maintenant d'une gratification que l'on ne pourrait obtenir que plus tard si on attendait d'avoir les moyens de se l'offrir, on doit payer un intérêt - c'est-à-dire payer le coût de jouir d'avance de cette gratification, payer pour ce temps de plus pendant laquelle on pourra jouir du bien obtenu.
Un taux d'intérêt nul est une absurdité économique, mais tout notre système monétaire étant lui-même une gigantesque fraude basée sur une logique absurde, on n'a pas à se surprendre d'en être arrivé là. L'effondrement graduel de ce système fondé sur l'argent fiduciaire (la monnaie-papier qui ne vaut rien plutôt qu'une marchandise comme l'or) au cours des dernières décennies force les banques centrales à accélérer de plus en plus la création monétaire dans un processus de fuite en avant.
Le Japon, qui souffre depuis le début des années 1990 de l'effondrement d'une bulle immobilière et financière semblable à celle que le reste de l'Occident subit aujourd'hui (j'y ai passé une année en 1988-89 durant la bulle, et j'ai pu constater de visu plusieurs aspects de cette frénésie, même si ce n'est que plus tard que j'ai compris l'origine du phénomène) a été à l'avant-garde dans l'adoption de ces politiques inflationnistes absurdes. C'est également M. Masaru qui a institué les premières mesures à grande échelle d'«assouplissement quantitatif» (quantitative easing dans le jargon trompeur des apparatchiks - créer des quantités gigantesques de faux crédit n'a en effet rien d'«assouplissant», ce n'est qu'une façon de voler les détenteurs actuels d'argent en diluant et en dépréciant leurs avoirs), notamment par l'achat direct par la banque du Japon de titres d'entreprises privées. Ces mesures exceptionnelles ont depuis l'an dernier été adoptées un peu partout par d'autres banques centrales occidentales, dans le but présumé de relancer des économies trébuchantes, justement à cause des phases précédentes de création monétaire...
M. Masaru n'était qu'un autre bureaucrate insignifiant dont l'influence est bien sûr minime comparée à celle de l'inflationniste en chef de la planète qu'a été Alan Greenspan pendant près de deux décennies. Mais il méritera sans doute une note en bas de page dans les futurs bouquins d'histoire économique qui relateront l'effondrement du système monétaire dominant à la fin du 20e et au début du 21e siècle. C'est lui en effet qui aura défriché le chemin vers le précipice final.
Je suis d'accord avec beaucoup de vos idées.
Consultez mon site
http://www.forum-monetaire.com/
Cordialement
Pierre Leconte
Rédigé par : Pierre Leconte | 19 mai 2009 à 11h37
Personne dans les médias ne cite le Japon pour faire un parallèle. Les sous-produits d'économiste sont-ils tellement bêtes qu'ils préfèrent se fier à une théorie sacrée que de regarder les exemples historiques/actuels ?
Rédigé par : Bobjack | 19 mai 2009 à 12h12
Je me demande, les gouvernements font-ils se genre d'acquisition (étatisations, nationalisations) pour que les petits dirigeants se donnent de l'importance alors qu'on ne leur aurait même pas donné les clefs d'un dépanneur cibole?
Par exemple, moi, Jean Charest, je ne suis pas sûr que je lui aurais fait confiance pour me représenter aux petites créances si mon DVD brise et que la compagnie refuse d'honorer la garantie. Or, il est l'ultime gestionnaire d'Hydro-Québec, de la SAAQ, de la SAQ et de Loto-Québec pour ne nommer que ces sociétés d'état.
Poser la question, c'est y répondre, n'est-ce pas?
Rédigé par : Tym Machine | 19 mai 2009 à 22h36
Pierre Leconte déplore qu'on ne mentionne pas le Japon. Toutefois Paul Krugman s'est beaucoup intéressé au Japon :
http://web.mit.edu/krugman/www/jpage.html
Il a dit l'an dernier : "Yes, we're Japan" :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2008/11/07/gurk-zirp/
La Japon n'est, selon lui, pas un si mauvais exemple :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2009/03/09/japan-reconsidered/
Mais enfin il n'en est pas tout à fait sûr tout de même :
http://www.telegraph.co.uk/finance/financetopics/recession/5309541/Paul-Krugman-warns-US-faces-lost-decade.html
Rédigé par : Alphonse | 20 mai 2009 à 10h24
A propos de la notion de coût du temps, mais pas à propos des taux d'intérêt, je vois que Bertrand Lemennicier dit ceci sur :
http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/article_12_21-La-notion-de-cout-dopportunite.html
Attention à la notion de coût du temps.
Le temps n'a pas de coût en soi, ce sont les actions qui ont un coût. Le temps en tant que tel ne peut avoir de coût puisqu'il n'est soumis au contrôle d'aucun individu, et aucun individu ne peut évaluer le temps. Ce que nous évaluons, ce sont nos actions - plus tôt ou plus tard - qui nous permettent dans le cas particulier des différents moyens de transports de faire -plus tôt- autre chose avec le moyen de transport le plus rapide. C'est le seul cadre analytique applicable au temps. On le sait puisque le service rendu par un moyen de transport dépend de l'usage que l'on pense en faire. Un "riche" peut prendre le train, qui est plus lent que l'avion, parce qu'il pourra travailler dans le train alors qu'il ne pourra pas le faire aussi facilement dans l'avion.
Rédigé par : Alphonse | 20 mai 2009 à 10h28
Une nouvelle économique du jour:
"Le Japon n'avait pas connu telle débâcle économique depuis 1955. Le produit intérieur brut de l'archipel s'est, sur le premier trimestre 2009, contracté de 4% par rapport au trimestre précédent. La baisse en rythme annuel suscite encore plus l'alarmisme : le PIB s'est en effet contracté de 15,2% sur cette périodicité."
Par à dire, ça fonctionne la planche à billets, les plans de relance à répétition et la création de montagnes de dettes!
Rédigé par : Martin Masse | 20 mai 2009 à 15h22
J'aime bien ce texte, mais il y a un mais:
Les intérêts, n'est-ce pas aussi de l'argent inventé à partir de rien?
Donc une "une gigantesque fraude basée sur une logique absurde" (sic)
Pourquoi l'argent aurait droit de faire de l'argent ? Je comprends le principe de "la préférence temporelle", par contre j'aimerais comprendre pourquoi se serait légal ou moral pour quiconque d'inventer de l'argent à partir de rien (même si selon la 'logique' de "la préférence temporelle", "le temps, c'est de l'argent")
Selon moi, la seule façon philosophiquement morale/légale de se faire payer pour son 'plaisir reporté', c'est -par exemple- par une participation à l'entreprise de l'emprunteur.
Tant que le principe que;
"l'argent ne travail, pas ou ne fais RIEN, donc ne mérite RIEN", est respecté, ça va avec moi.
Les intérêts sur de l'argent respectent le principe de "la préférence temporelle", mais ne respectent pas l'autre principe: la masse monétaire totale ne DOIT jamais pas dépasser la quantité équivalente de bien et production, sous quelque prétexte que ce soit .
Suis-je trop strict? A côté 'de la trac' ?
J'aimerais comprendre...
Rédigé par : Sébas | 09 juin 2009 à 14h43