par Martin Masse
Le Québec a l'un des gouvernements les plus interventionnistes en Amérique du Nord, l'État-providence le plus développé, le fardeau fiscal le plus élevé et est l'une des sociétés les plus endettées au monde, en plus d'être l'une de celles qui vieillissent le plus vite. Nous allons vers un mur, mais malgré cela, la presque totalité de nos élites continue de croire que le «modèle québécois» mérite d'être conservé. La question qui les divise est surtout de savoir comment on le financera.
Dans un débat dominé par les illuminés gauchistes partisans de la pensée magique, les illettrés économiques, les groupes d'intérêt corporatistes et les politiciens peureux, ceux qui disent qu'on ne peut pas indéfiniment vivre à crédit et taxer les plus riches et les entreprises passent pour des réalistes et des «lucides». Depuis quelques années, ces lucides proposent de siphonner davantage et «plus efficacement» (par l'entremise de tarifs et de taxes à la consommation plutôt que de hausses d'impôt sur le revenu) tous les Québécois de façon à éviter les déficits et réduire la dette.
Comme je l'écrivais il y a cinq ans, leur programme n'a rien à voir avec une réduction de la taille de l'État: l'objectif est de cesser de croire qu'on peut avoir le beurre et l'argent du beurre et donc de prendre les moyens nécessaires pour financer adéquatement la pléthore de programmes qu'ils souhaitent conserver.
C'est ce que le gouvernement Charest a finalement décidé de faire dans son budget dévoilé hier. Les sociaux-démocrates réalistes sont en pâmoison. Le chroniqueur Alain Dubuc de La Presse parle d'un budget austère, audacieux, courageux. «Le gouvernement Charest devra réussir à expliquer qu'on ne peut pas éliminer le déficit et préserver nos services sans contribution des citoyens. Il devra pour cela miser sur l'intelligence des citoyens», écrit-il. Pour l'économiste Luc Godbout, un autre lucide grand amateur de hausses de taxes, «C'est un budget qui est allé au-delà de mes espérances».
Raymond Bachand a tiré sur tous les leviers que lui a présentés son comité d'économistes. La taxe de vente du Québec (TVQ) sera haussée de 1 % le 1er janvier 2012, soit une ponction de 1,5 milliard, qui s'ajoute à l'augmentation de 1 % prévue dans le dernier budget de Monique Jérôme-Forget pour le 1er janvier prochain; la TVQ s'élèvera donc à 9,5 %. La taxe sur les carburants sera augmentée de 1 cent le litre par an pendant quatre ans, pour des revenus annuels à terme de 480 millions. De plus, Montréal et Québec auront désormais la possibilité de relever de 1,5 cent la taxe sur l'essence dès l'an prochain pour financer leur réseau de transport collectif.
Le budget Bachand viole un interdit politique: le financement de la santé par les usagers. Chaque adulte devra débourser dès cette année une cotisation santé de 25 $ à même sa déclaration de revenus. Cette cotisation augmentera graduellement pour atteindre 200 $ en 2012, ce qui permettra à l'État d'encaisser près de 1 milliard par an. Le financement de la santé par les contribuables ne passera donc plus exclusivement par l'impôt sur le revenu, une ponction de nature progressive. Ainsi, tout ménage qui gagne 40 000 $ et plus paiera la cotisation maximale de 400 $.
Mais cela ne s'arrête pas là: le gouvernement Charest imposera une «franchise» santé, comme le recommandait le rapport Castonguay, une forme de ticket modérateur applicable à chaque visite médicale, modulé selon que l'usager se présente dans une clinique, un CLSC ou à l'urgence. Les modalités seront arrêtées plus tard. (...)
À compter de 2014, le tarif du bloc patrimonial d'électricité de 2,79 cents, en vigueur depuis 1998, sera graduellement majoré de 50 %, soit de 1,37 cent en cinq ans. Cela représente une hausse annuelle de 3,7 % du tarif domestique, qui passera de 6,87 cents à 8,24 cents, soit un bond de 20 % cumulativement. Le ministre a parlé d'une hausse de 1 cent, mais les documents budgétaires indiquent bien 1,37 cent, ou 2,2 milliards annuellement en 2018.
«À cet égard, un changement de culture s'impose. Nous pouvons même parler de révolution culturelle...», écrit Raymond Bachand dans son discours, les trois petits points se voulant un clin d'oeil évoquant l'origine chinoise et communiste de cette expression, a-t-il expliqué, sourire en coin, à des journalistes.
(...) Les droits de scolarité dans les universités, qui augmentent de 50 $ par session jusqu'en 2012, seront soumis à d'autres hausses par la suite.
On peut bien soutenir, en s'appuyant sur une logique économique saine, que les étudiants devraient contribuer davantage aux coûts de leur formation, que les consommateurs d'électricité devraient payer le prix du marché et non un prix subventionné, que la mise en place d'une franchise pour les soins de santé injectera un dose de réalisme sur le plan de la demande de services, etc. On applique en quelque sorte une logique partielle de marché sur le plan de la demande. Mais à moins d'être compensées par des baisses correspondantes de l'impôt sur le revenu, toutes ces hausses de tarifs et de taxes impliquent simplement une augmentation du fardeau fiscal, et cela pour financer des «services publics» qui restent sous le contrôle des bureaucrates et dont la gestion, elle, n'a aucunement recours à des mécanismes de marché.
On retrouve bien ici et là dans le budget quelques mesures largement symboliques pour limiter ou réduire les dépenses de l'État dans certains domaines, mais strictement rien qui remet en question sa taille gargantuesque. Lorsque le ministre des Finances Raymond Bachand fait valoir que le gouvernement, par les compressions qu'il s'impose, contribue à hauteur de 62% à l'effort nécessaire pour atteindre le déficit zéro, alors que les contribuables et les entreprises, par l'entremise des hausses de taxes et de tarifs, comptent pour le reste, il tient un discours démagogique typiquement politicien. Cette «contribution» du gouvernement provient d'un ralentissement des hausses de dépenses prévues dans les budgets précédents, et non d'une réduction nette des dépenses par l'abolition de programmes et la privatisation de services. Et encore, comme l'écrit Claude Picher, on le croira quand on le verra.
Le Québec entre donc finalement dans sa phase lucide, tout de même préférable à la phase lunatique et à la politique de l'autruche qui dominent depuis des décennies. Mais on n'a rien réglé; on a simplement repoussé peut-être le moment où nous frapperons le mur. Le véritable débat, sur une réduction réelle de la taille de l'État, reste à faire.
Désolé, j'ai présumé de votre opinion en fonction de celle de la majorité des commentateurs ici.
"Ce contre quoi je suis, mais seulement en mon nom personnel, serait de vivre dans un Québec indépendant fonctionnant sur le modèle actuel, c'est à dire grosso-modo une oligarchie de corporations, syndicats et autre parasites socio-politiques tenant la classe moyenne en otage, une société collectiviste."
On s'entend là-dessus. Cependant, rien ne démontre que ce sera le cas pour longtemps. Regardez ce qui s'est produit dans la grande majorité des territoires devenus indépendants.
"Sauf à vivre sur la Lune, si vous faites des sous vous payez des taxes, alors autant les payer là ou on vous en demande moins. Ne soyons pas absolutistes."
En effet, mais il y a d'autres façons de payer moins de taxes et ce, même s'il y a un déménagement hors-Québec.
Rédigé par : David Gendron | 16 juin 2010 à 13h45
@David Gendron:
"On s'entend là-dessus. Cependant, rien ne démontre que ce sera le cas pour longtemps. Regardez ce qui s'est produit dans la grande majorité des territoires devenus indépendants."
Il faudrait tout de même fournir des exemples plus précis.
Un gros bobo du mouvement sécessioniste québécois (auquel je ne suis pas du tout opposé par principe, je le répète), c'est que ses partisans sont beaucoup plus étatistes que la moyenne de leurs contrepartistes dans le reste du Canada.
Le seul rayon d'espoir, si l'on peut dire, c'est qu'un Québec indépendant ne pourrait continuer sur cette voie bien longtemps et se trouverait rapidement dans la situation de la Grèce, ce qui nécessiterait des changements draconiens.
Sauf que... ça fait longtemps que la Grèce est dans cette situation et on ne voit toujours pas de changement à l'horizon, pourquoi en serait il différent dans un Québec indépendant?
Ce sont là des interrogations légitimes et vous ne pouvez pas demander au monde de faire l'impasse là dessus en prétendant qu'une fois l'indépendance acquise, il se produirait un miracle qui transformerait derechef quelques centaines de milliers de parasites gouvernementaux en agents économiques productifs. Le miracle, va falloir prouver qu'il peut se produire AVANT. Or, c'est mal parti...
En fait, tant que cette preuve là n'est pas faite le mouvement indépendantiste québécois n'a aucune chance.
Rédigé par : Pierre-Yves | 16 juin 2010 à 14h23
@Pierre-Yves:
Martin Masse a traité longuement cette question en disant que le mouvement nationaliste (et il faut ajouter que la majorité du mouvement indépendandiste est issu de ce mouvement nationaliste) est un mouvement qui est généralement étatique dans le cas du Québec.
Donc, à vrai dire, malgré que je ne suis pas contre les mouvements indépendandistes, j'ai beaucoup de difficulté avec le fait qu'on essaie de vendre la salade du nationalisme étatique Québécois (et cela malgré que j'ai absolument aucune objection avec le nationalisme personnel) avec une logique qui fait souvent dire qu'il faut un gros état pour justement soutenir ce nationalisme en question qu'il soit de Parizeau ou de Trudeau, qui sont deux types très similaires si ce n'est comme différence le lieu de la capitale nationale.
Il est aussi très difficile de trouver des gens qui ne sont pas des étatiques convaincus dans le mouvement indépendantiste Québécois. Ils sont considérés l'exception à la règle.
Cependant, en temps de crise, il y a toujours deux voies à suivre:
-Le voie facile, en mettant un absolutiste au pouvoir qui va promettre le pain et le beurre en retour qu'on enlève toutes nos libertés.
-La voie difficile, en dé-étatisant notre société en faisant un gros ménage et en changeant la matière de penser des gens par rapport à l'état providence.
La grosse question est cependant que je doute bien qu'il existe un fort nombre d'individus qui sont prêt à choisir la première solution.
Rédigé par : Mathieu NV | 18 juin 2010 à 00h10
@Mathieu NV:
"La grosse question est cependant que je doute bien qu'il existe un fort nombre d'individus qui sont prêt à choisir la première solution."
On en revient toujours au même constat: la seule façon de soutenir la souveraineté, c'est de saboter l'État-souverainiste (qu'il soit libéral ou péquiste) là ou ça fait mal, en étranglant ses revenus fiscaux. La dépendance ne mènera jamais à l'indépendance.
Rédigé par : Pierre-Yves | 18 juin 2010 à 07h55
@Pierre-Yves
"Un gros bobo du mouvement sécessioniste québécois (auquel je ne suis pas du tout opposé par principe, je le répète), c'est que ses partisans sont beaucoup plus étatistes que la moyenne de leurs contrepartistes dans le reste du Canada."
En effet!
"Le seul rayon d'espoir, si l'on peut dire, c'est qu'un Québec indépendant ne pourrait continuer sur cette voie bien longtemps et se trouverait rapidement dans la situation de la Grèce, ce qui nécessiterait des changements draconiens."
Voilà!
"Sauf que... ça fait longtemps que la Grèce est dans cette situation et on ne voit toujours pas de changement à l'horizon, pourquoi en serait il différent dans un Québec indépendant?"
Ne pas oublier que la Grèce fait encore partie d'un État fédéral, la zone Euro (certes moins centralisateur que le Canada, sauf pour la surveillance des budgets). Sans zone Euro, ils auraient été obligés de changer plus drastiquement leur situation. Évidemment, la situation risquerait de perdurer si un Québec indépendant faisait partie d'une zone monétaire Canada, ou d'une zone monétaire améro, sauf qu'il faut aussi tenir compte du fait qu'il sera difficile pour un Québec indépendant de ne pas faire comme ses voisins américains qui sont dans une situation moins précaire que les voisins Européens de la Grèce.
"Ce sont là des interrogations légitimes et vous ne pouvez pas demander au monde de faire l'impasse là dessus en prétendant qu'une fois l'indépendance acquise, il se produirait un miracle qui transformerait derechef quelques centaines de milliers de parasites gouvernementaux en agents économiques productifs. Le miracle, va falloir prouver qu'il peut se produire AVANT. Or, c'est mal parti...
En fait, tant que cette preuve là n'est pas faite le mouvement indépendantiste québécois n'a aucune chance. "
En effet, du côté de la vente de ce projet séparatiste, c'est nul. Mais de toute façon, on est condamné à l'étatisme en restant dans le Canada. Le PSDLQ est fédéraliste et ce n'est pas chic non plus! Il faut faire la distinction entre le séparatisme et le nationalisme étatiste, qui est une idéologie fascisante que j'abhorre.
Rédigé par : David Gendron | 18 juin 2010 à 16h26
@David Gendron:
"Mais de toute façon, on est condamné à l'étatisme en restant dans le Canada."
Pourquoi? Aucune raison. Rien d'inéluctable à cela. Je vois que Maxime Bernier par exemple avance des pistes intéréssantes et des idées fortes pour s'y attaquer.
Je ne me fais pas d'illusion non plus, mais bon, la seule façon dont le Québec va pouvoir gagner son indépendance c'est en prouvant au Canada qu'il n'a pas besoin de lui - pas en passant son temps à quémander et à chialer.
Mais le Québec en est il capable? Quand je vois ce club de petits vieux, de féministes obèses et rassies, de bureaucrates incompétents et corrompus, de parasites patentés, de bull-shitteurs professionnels, tous les éléments productifs ayant foutu le camp pour faire carrière aux US, en Asie, en Afrique, ou en Amérique du Sud, je me pose la question.
En 30 ans j'ai connu au Québec un tas de gens brillants et entreprenants dotés d'un fort leadership. Mais il n'y en a quasiment plus aucun qui vive au Québec aujourd'hui. Ça s'appelle voter avec ses pieds tant qu'a moi...
Rédigé par : Pierre-Yves | 18 juin 2010 à 20h59