Dans un article récemment écrit pour le site du Mises Institute, je critiquais l'affirmation de la conseillère économique en chef de Barack Obama, selon laquelle le chômage persistant aux États-Unis serait dû à un manque de demande globale. En réalité, argumentais-je, le sous-emploi frappe principalement le secteur de la construction, surtout en raison d'un singulier manque de flexibilité salariale. Plus généralement, je défendais l'idée selon laquelle la demande globale ne peut jamais être insuffisante. Suite à cet article, un lecteur instruit me demanda une clarification, dont je parlerai plus bas.
Mais tout d'abord, pour ceux qui auraient eu la chance de passer à côté d'une introduction de base à l'idéologie keynésienne, rappelons les faits. Par «demande globale», les keynésiens entendent l'ensemble des dépenses faites dans une économie au cours d'une année, lesquelles correspondent à la somme : Consommation + Investissement + Dépenses publiques. Il s'agit là d'une des trois approches possibles du PIB, lequel est aussi la somme des valeurs ajoutées (approche par la production,) ainsi que la somme des revenus.
Tel est le circuit économique : l'activité économique produit, en une année, un ensemble de biens et de services; cette production s'accompagne de revenus (du travail, de l'investissement, et... de la coercition), lesquels sont des droits sur la production dont l'exercice (dépense) alloue biens et services produits entre les ménages, les entreprises, et les administrations.
Comme l'indique l'idée de circuit, la relation Production → Revenus → Dépenses est tout aussi vraie, selon les keynésiens, que la relation Dépenses → Production → Revenus. D'où le grand danger : si l'ensemble des dépenses (la demande globale) faites au cours d'une année donnée est inférieure à l'ensemble des revenus, alors la production sera inférieure l'année suivante, et il y aura récession.
Un tel phénomène, Dépenses < Revenus, signifie qu'une part des revenus ont été épargnés sans être investis - c'est-à-dire ont été thésaurisés. Une politique expansive de relance de la demande serait alors requise, par laquelle l'État stimule l'activité en augmentant le crédit et/ou les dépenses publiques. Sans cela, ce serait l'équilibre de sous-emploi assuré.
Tout cela est, finalement, assez intuitif, c'est-à-dire conforme à l'économie telle que l'imagine l'homme de la rue : si les consommateurs ne dépensent pas, les entreprises diminueront leur volume de production et licencieront, ce qui diminuera les revenus, donc la consommation, et ainsi de suite. Comment défendre, dès lors, l'idée que la demande globale ne peut, en réalité, jamais être insuffisante pour permettre le plein emploi? Mon argument, dans l'article écrit pour mises.org, était le suivant.
Imaginons une économie produisant 100 biens par an, et ayant un stock de monnaie fixe de 150 pièces. Chaque année, les individus dépensent 80 pièces en consommation, et en investissent 20, les 50 pièces restantes constituant des encaisses qui, dans l'agrégat, ne circulent jamais. Pour faire au plus simple, mettons que chaque bien vaut une pièce.
Un jour, pour une raison quelconque, les individus augmentent leurs encaisses, c'est-à-dire thésaurisent plus que d'habitude. Soudain, ils dépensent et investissent 90 pièces seulement. La demande globale (l'offre de monnaie) perd donc 10%, alors que l'offre globale reste inchangée, à 100 biens. Clairement, cela signifie simplement que chaque bien ne vaut plus que 0,9 pièce - ou, ce qui est la même chose, qu'une pièce vaut désormais plus qu'un bien. Moins d'unités de monnaie sont dépensées, mais chaque unité monétaire vaut plus qu'avant. La production restera donc inaffectée. Le seul changement, en fait, est l'augmentation (désirée) des encaisses monétaires (lesquelles rendent elles-mêmes un service à leurs détenteurs).
Mais, me demanda un lecteur par e-mail, si j'ai toujours été capable de rentrer dans mes frais en recevant 10 pièces pour mes produits, et si je n'en reçois soudain plus que 9, comment se peut-il que je ne diminue pas mon volume de production, et que je ne licencie pas? N'est-il pas évident que mes produits font alors l'objet d'une demande insuffisante?
La réponse à cette question se trouvait déjà dans un autre passage de l'article, où je m'empressais de préciser que la métaphore précédente, largement empruntée à Hume, est en un sens trompeuse: la monnaie est en effet, comme le disait Hayek, «a loose joint», ce qui signifie que la structure des prix met du temps à s'adapter à l'évolution de l'offre de monnaie (des dépenses globales). La correspondance proposée me permit de développer ce point.
La diminution des dépenses globales n'intervient pas en un instant, ni partout à la fois. De même, le niveau des prix ne s'y adapte pas immédiatement. Pour cette raison, les premiers producteurs à voir leurs revenus nominaux baisser devront bel et bien réduire la voilure de leur activité, puisque leurs coûts, eux, n'ont pas encore diminué. Mais cela implique que, dans le même temps, d'autres producteurs ne voyant pas encore leurs revenus diminuer voient d'ores et déjà leurs coûts baisser. Or ceux-ci en profiteront pour développer leur activité.
La diminution des dépenses globales implique donc, non pas une baisse globale de la production, mais une réallocation des ressources productives aux dépens des premiers affectés, et au bénéfice des derniers affectés. (Je m'empresse de dire que cette idée se contente de transposer une analyse proposée par Rothbard au sujet de l'effet redistributif de l'inflation.)
Pour finir, il faut ajouter que ce n'est pas seulement l'idée d'une insuffisance globale de demande qui est dénuée de sens, mais bien la notion même de demande globale. S'il y a bien un sens à distinguer entre offre et demande au niveau microéconomique, parce que tous les échanges indirects sont des échanges d'unités de marchandises contre des unités de monnaie, il n'y en a aucun au niveau macroéconomique, où tous les échanges indirects se complètent. À ce niveau, en effet, ceux qui ont reçu des unités de monnaie, ou bien les ont échangées contre les unités de marchandises qu'ils désiraient, ou bien les ont ajoutées à leurs encaisses, modifiant ainsi l'offre et le pouvoir d'achat de la monnaie.
Il est clair, dès lors, que la demande globale n'est rien d'autre que l'offre globale (la production de biens et de services.) De fait, ce sont, au final, des biens et des services que l'on échange, par l'intermédiaire de la monnaie. C'est là le sens de la fameuse Loi de Say. Ceci compris, l'idée d'un déséquilibre global entre l'offre et la demande perd toute signification, puisqu'il s'agit deux fois de la même chose.
Ce billet est une bonne analyse de la situation, du point de vue macroéconomique.
Par contre, j'ai un commentaire à formuler concernant le billet dans Mises.org
"There are at least two reasons why wages are particularly inflexible in construction. The first is that workers in that occupation have one of the highest rates of union membership, above 20%. The fact that unions have long since integrated Keynesianism as a perfect justification for their cause is perfectly illustrated by the following excerpt from a post on the AFL-CIO website:"
Et quelle serait la solution? Empêcher ces travailleurs de se syndiquer? Franchement, c'est ridicule! Si des entrepreneurs privés ont les moyens d'embaucher volontairement ces travailleurs à un tel prix, ça veut dire que les autres travailleurs sont exploités. Si les gouvernements gaspillent trop d'argent en les embauchant, il faut blâmer surtout les gouvernements, pas juste les syndicaleux!
Et en passant, ce 20% est très peu en comparaison avec le quasi-100% au Québec dans le milieu de la corruption...euh, pardon, construction.
Rédigé par : David Gendron | 25 mai 2010 à 14h34
Non, si des entrepreneurs doivent embaucher à ce prix, cela signifie que d'autres travailleurs seront au chômage.
Concernant la syndicalisation, le problème est son appui par la réglementation. Il existe une liberté syndicale, mais pas de véritable liberté entreprenariale, en face.
JR
Rédigé par : Jérémie T.A. Rostan | 25 mai 2010 à 15h24
Mais cela implique que, dans le même temps, d'autres producteurs ne voyant pas encore leurs revenus diminuer voient d'ores et déjà leurs coûts baisser
Sans gains de productivite, d'eux meme ou de leurs fournisseurs je ne vois pas pourquoi leurs couts baisseraient?
Cependant je ne vois aucune raison, a part une crise majeure (comme par hasard), qui pousserait tout le monde a epargner en meme temps.
Pendant un reajustement, le chomage est inevitable, epargner c'est essayer de se proteger et je crois volontier que cela ait un impact sur la "demandde globale". Apres, la soutenir, c'est certainement la pire chose a faire, je suis bien d'accord.
Rédigé par : Stan selene | 25 mai 2010 à 21h13
C'est plutôt dû à un manque de production globale.
Les taxes, les impôts, les réglements, la manipulation monétaire et les autres barrières étatiques au commerce font que ça coûte trop cher produire les biens et services, on n'arrive plus à les produire à profit.
Voilà ce qui cause la crise.
Mais au fond, la madame a peut-être raison, le manque de demande global de liberté a causé cette crise. Si les gens demandaient plus de libertés économiques plutôt que d'obéir bêtement au gouvernement, cela marcherait.
Rédigé par : Libre Entreprise | 25 mai 2010 à 21h18
@ Stan selene
Si les ressources et la main d'oeuvres de certaines entreprises ne sont plus utilisées alors elles deviennent
plus disponibles pour d'autres entreprises et donc moins coûteuses.
Aussi dans l'article on ne parle pas d'épargne mais plutôt de «cash hoarding» c'est-à-dire prendre son argent
et la mettre sous son matelat.
Rédigé par : Jonathan | 25 mai 2010 à 23h54
Merci à monsieur Rostan pour sa réponse.
"Concernant la syndicalisation, le problème est son appui par la réglementation."
Je suis d'accord avec vous sur ce point, même si c'est certainement moins pire là-bas qu'au Québec. Cependant, s'il y avait par exemple, 30% des travailleurs (et même 95%, tant qu'à moi) qui seraient syndiqués dans un véritable libre-marché, il n'y aurait aucun problème.
"Il existe une liberté syndicale, mais pas de véritable liberté entreprenariale, en face."
La situation est certainement moins pire là-bas qu'au Québec, mais tout de même, ce point est intéressant. Néanmoins, en dehors de la fiscalité (ou de sa quasi-absence, on s'entend), j'aimerais savoir quels sont les points cruciaux qui font en sorte qu'il y ait une véritable liberté entreprenariale selon vous, juste pour savoir jusqu'où ça pourrait aller.
"Non, si des entrepreneurs doivent embaucher à ce prix, cela signifie que d'autres travailleurs seront au chômage."
Dans le contexte actuel, c'est possible, quoique je me demande si ce ne sont pas simplement des travailleurs différents qui seraient au chômage (loin de moi l'idée de faire l'apologie du salaire minimum, une des pires mesures créatrices de pauvreté). Mais dans un véritable libre-marché, je ne vois aucun problème à ce que les travailleurs soient rémunérés convenablement. De plus, personne ne force les entreprises (là-bas, ici c'est douteux) à consentir des tels salaires.
Rédigé par : David Gendron | 26 mai 2010 à 13h40
>
Merci Jonathan. Je n'y avais pas pense (du coup j'imagine qu'il doit meme avoir d'autres retroactions auxquelles je n'ai pas pense :) ). Cependant il reste a connaitre les rapports de forces et quand ceux-ci s'inverseront. Ainsi je pense toujours qu'une augmentation du chomage est inevitable. (D'ailleurs on pourrait noter en suivant ton exemple que: plus de chomeurs entrainne une baisse des salaires)
Rédigé par : Stan selene | 26 mai 2010 à 19h05
@Stan Selene
"D'ailleurs on pourrait noter en suivant ton exemple que: plus de chomeurs entrainne une baisse des salaires"
-En effet, ça entraine une baisse des salaires dans les domaines et occupations particulièrement affectés par le chômage. Les autres sphères d'activités ne voient pas nécessairement leurs salaires baissés car les compétences des travailleurs affectés par le chômage ne sont pas nécessairement transférables aux autres domaines. L'augmentation de l'offre globale de travailleurs sans augmentation de la demande fait diminuer les salaires dans la sphère de travail affectée. La loi de l'offre et de la demande s'applique partout.
Rédigé par : Steven | 27 mai 2010 à 09h32
Est-ce que la conseillère économique du président Américain ne réalise pas que c'est un véritable cercle vicieux de dépenser davantage et ainsi de vouloir entrer dans un cadre où que l'impact fallacieux de la capacité de créer de la fausse monnaie par la Fed va finir par couler à sec très bientôt et cela combiné à une côte de crédit qui va faire que personne ne voudra emprunter au gouvernement Américain?
J'ignore visiblement ce qu'une personne moindrement sensée peut trouver d'intéressent au président actuel et au congrès Actuel qui continue le règne dévastateur qui sévit à Washington depuis plusieurs années où que les politiciens sont carrément entourés de gens qui ne seraient même pas capables de gérer une PME sans qu'elle fasse faillite.
Rédigé par : Mathieu NV | 27 mai 2010 à 11h33
Une récession est un déséquilibre dans le marché des capitaux. Ça ne fait aucune différence que les ouvriers soient syndiqués ou non s'il n'y a pas de capital pour les faire travailler.
Pour rétablir l'équilibre, il faut augmenter l'investissement dans la production d'ordre inférieur et ensuite ré-affecter les chômeur dans cette production (ce qui requiert un investissement de plus en formation). Si, comme a été le cas dans pratiquement tous les pays occidentaux, le marché du capital est contrôlé et l'investissement ne se fait plus sauf en bulle financière, il n'y aura aucune solution au chômage.
Bien sur, l'existence de la syndicalisation monopolistique (à distinguer de la syndicalisation concurrentielle où le syndicat n'a pas le pouvoir sur les employés d'une entreprise) décourage substantiellement l'investissement de capital en créant une menace d'expropriation de l'entreprise, ou en maintenant les coûts de main d'oeuvre à un niveau déséquilibré. Si une récession permet aux entreprises de sabrer dans les salaires, elle permet aussi de recalculer le bénéfice de nouveaux investissements et de se lancer dans des entreprises qui étaient non-profitables en période de bulle financière.
Rédigé par : Darcy | 30 mai 2010 à 15h38