par Martin Masse
Dans un commentaire sur le fil de discussion du billet précédent, Richard3 écrit: «Je rêve du jour où les Martin Masse, Gilles Guénette, et autres Nathalie Elgrably de ce monde vont mettre leur face sur une pancarte! Je saurai pour qui voter, ce jour-là!»
Merci à Richard3 pour le vote de confiance, mais comme je l'ai souvent écrit, il est beaucoup plus important de gagner des esprits que des votes. Logiquement, c'est la première action qui permet à terme de réaliser la seconde. Et il reste beaucoup de travail à faire pour disséminer et faire comprendre nos idées.
Petit rappel cependant pour ceux qui pensent que je ne suis qu'un «théoricien» qui n'a jamais osé sauter dans l'arène: dans une vie antérieure, j'ai tout de même essayé de le faire. Il y aura bientôt quinze ans (en mars 1996), je me suis présenté comme candidat du Parti réformiste du Canada lors d'une élection partielle dans la circonscription de Papineau-St-Michel, dans le nord-est de l'île de Montréal.
Mes principaux adversaires étaient le bloquiste Daniel Turp et le libéral Pierre Pettigrew. C'est ce dernier qui l'a remporté par une forte majorité et est devenu ministre dans le gouvernement Chrétien. Je n'ai récolté qu'un maigre... 1% des voix! (Voir dans cette page mon dépliant électoral ainsi qu'un article d'opinion du 6 septembre 1995 dans Le Devoir - cliquer pour agrandir.)
Deux ans auparavant, j'avais publié un livre proposant une vision non nationaliste et libérale classique d'un Québec indépendant (j'étais indépendantiste depuis que j'avais commencé à m'intéresser à la politique lors du référendum de 1980). Quelques mois après l'élection du gouvernement Parizeau en septembre 1994, j'ai toutefois conclu qu'il n'y avait aucun espoir que les idées que j'y défendais soient mises de l'avant au sein du mouvement indépendantiste. Au contraire, la rhétorique nationaliste intolérante des péquistes et des bloquistes devenait plus stridente à mesure qu'on se rapprochait du référendum promis. Quant au réalisme économique qu'on sentait pointer dans le discours péquiste avant l'élection, il a fait place à un interventionnisme à tout crin dès la prise du pouvoir.
J'ai alors décidé, au début de 1995, de joindre les rangs du Parti réformiste. Je venais de lire Human Action de Ludwig von Mises, et mes penchants libéraux classiques se transformaient rapidement en convictions libertariennes. L'alternative à l'indépendance du Québec était bien évidemment un Québec plus autonome dans un Canada le plus décentralisé possible. Le Parti réformiste était le seul sur la scène fédérale qui proposait une décentralisation du fédéralisme et une réduction du rôle de l'État.
Même s'il n'a jamais compté plus que quelques centaines de membres au Québec, le parti finançait à ce moment la présence d'un bureau régional à Montréal. J'y ai travaillé pendant près de deux ans à temps partiel avec deux autres organisatrices comme responsable des communications. J'ai également présidé un Groupe de travail national qui a élaboré la position du parti sur les pêcheries.
Ceux qui s'excitent aujourd'hui avec les Tea Parties aux États-Unis et qui voudraient transplanter ce modèle au Canada ne se souviennent peut-être pas (ou sont trop jeunes pour s'en souvenir) que le Parti réformiste était le modèle parfait d'un mouvement de protestation à la Tea Party qui s'est transformé en parti politique bien organisé.
On dira ce qu'on voudra de l'image atroce de son chef unilingue, des déclarations politiquement incorrectes de certains de ses députés, de l'incompréhension totale dont le parti faisait preuve envers le Québec et le fait français, ainsi que de l'animosité manifeste envers le «Canada central» (c'est-à-dire les élites de Montréal-Ottawa-Toronto, source de tous les problèmes de l'Ouest selon la vulgate réformiste, exactement comme Ottawa et le Canada anglais le sont pour nos nationalistes) qui rendaient toute percée électorale problématique à l'est du Manitoba; mais il faut reconnaître que ce parti avait des positions anti-étatistes extraordinairement plus radicales que le Parti conservateur qui lui a succédé (après le bref épisode de l'Alliance canadienne) après sa fusion avec l'ancien Parti progressiste-conservateur.
J'ai sorti de mes archives la documentation réformiste que j'avais conservée. Dans le livret Nouveau départ pour les Canadiens daté d'octobre 1996, on propose un plan en six point, le premier portant sur l'économie avec le sous-titre «Nous allons réduire la taille du gouvernement pour créer de vrais emplois». On y proposait entre autres de, tenez-vous bien:
-privatiser Via Rail et la Société canadienne des postes
-abolir les organismes de développement régional (le gouvernement conservateur vient au contraire de créer une autre de ces agences distribuant des subventions pour le sud de l'Ontario.)
-abolir le CRTC
-éliminer la plupart des activités de Patrimoine Canada sauf le financement de Parcs Canada, des musées nationaux et du sport amateur
-privatiser les réseaux de télévision de Radio-Canada et CBC (en maintenant cependant dans le giron de l'État la radio ainsi que Newsworld et RDI)
-réduire considérablement l'aide étrangère distribuée par l'ACDI
-enchâsser dans la Constitution une disposition sur l'équilibre du budget et la limite des dépenses
Dans le Taxpayers' Budget publié par le parti en mars 1995, on proposait également de:
-réformer le programme de sécurité de la vieillesse pour que seules les personnes âgées à faible revenu reçoivent une pension fédérale
-remplacer les transferts fédéraux aux provinces pour la santé et les programmes sociaux en points d'impôts dont les provinces feront ce qu'elles veulent
-réduire les montants de péréquation
-réduire le nombre de ministères, secrétariats d'État et secrétaires parlementaires
-réduire les budgets du gouverneur général, du Sénat, de la Chambre des communes, du Conseil privé et du bureau du premier ministre
-éliminer le programme de multiculturalisme et toute subvention non nécessaire pour le bilinguisme
-privatiser les aéroports
-réduire le budget de la Défense nationale
-privatiser ou vendre les actifs de la SCHL
-éliminer toutes les subventions aux entreprises distribuées par Industrie Canada, Ressources naturelles et Transport Canada
-éliminer toute subvention au développement régional
-éliminer toute subvention aux groupes de pression
Dans le Nouveau départ, le parti prenait également position en faveur d'une décentralisation radicale du fédéralisme, c'est-à-dire un retrait d'Ottawa des champs de compétence provinciale où il s'est ingéré depuis des décennies grâce au pouvoir de dépenser (comme la santé, l'éducation et les services sociaux) ainsi qu'un transfert additionnel de certains pouvoirs là où la Constitution reste vague. On peut ainsi y lire que
Sous un gouvernement réformiste, les pouvoirs fédéraux seront concentrés dans les domaines suivants: la défense, les affaires étrangères, la politique monétaire, la réglementation des institutions financières, le Code criminel, l'application des normes nationales, la péréquation, le commerce international, le commerce intérieur et la réforme des institutions nationales comme le Parlement.
Un gouvernement réformiste reconnaîtra que la responsabilité de nombreux secteurs de politique importants doit incomber au palier de gouvernement le plus près des gens. De cette façon, nous pourrons mettre un terme au double emploi et aux chevauchements de compétence entre les différents paliers de gouvernement. Par exemple, tous les domaines de compétence exclusivement provinciale en vertu de la Constitution relèveront des gouvernements provinciaux, de même que la formation professionnelle, les services sociaux, la langue et la culture, les affaires municipales, les sports et les loisirs, le logement et le tourisme.
La politique canadienne a tellement régressé depuis une décennie que quiconque proposerait le quart seulement de ce programme aujourd'hui serait vu comme un dangereux révolutionnaire qui souhaite démanteler le gouvernement fédéral.
Ceux qui m'ont reproché ici pendant des années de critiquer l'ADQ et de ne pas vouloir m'impliquer en politique pour changer les choses ne se rendent pas compte à quel point une implication auprès d'une poule sans tête comme Mario Dumont pouvait apparaître comme une perte de temps totale après mon expérience dans le Parti réformiste.
C'est grâce à la formidable pression exercée par le Parti réformiste (qui a fait élire 53 députés en 1993 et a remplacé le Bloc québécois comme opposition officielle suite à l'élection de 1997 avec 60 députés) que Jean Chrétien et Paul Martin ont pu faire adopter les réformes et coupures budgétaires qui ont permis au Canada de sortir du trou financier dans lequel il se trouvait à ce moment.
Et si les Québécois s'étaient alliés aux gens de l'Ouest pour mettre en oeuvre un tel programme, la «question nationale» aurait vraisemblablement été réglée pour au moins quelques générations. Les insignifiants qui peuplent la classe politique et médiatique québécoise n'ont toutefois jamais voulu envisager une telle alliance, ni même jeter un simple coup d'oeil au programme réformiste. Pour eux, les réformistes étaient des racistes anti-Québécois fondamentalistes religieux menés par un preacher à la voix nasillarde et aux lunettes ringardes, point à la ligne.
Le Canada serait un pays beaucoup plus vivable, prospère et moins dysfonctionnel aujourd'hui - on ne parle évidemment pas d'une révolution libertarienne, qui se fera à bien plus long terme, mais bien de rendre à court terme l'État immoral, voleur et oppresseur plus supportable - si le Parti réformiste avait poursuivi son ascension, réussi à percer dans l'est du pays et pris le pouvoir sans diluer son programme.
Malheureusement, c'est exactement ce qui est survenu. Stephen Harper l'ancien libertarien a presque complètement évacué le programme réformiste et s'est transformé en étatiste depuis son élection à la tête du pays (même si les confus et les bien- pensants le voient toujours comme un ultra-conservateur). À part dans quelques dossiers très médiatisés comme le registre des armes longues et le recensement, son gouvernement n'a plus aucune velléité de réduire la taille de l'État - au contraire, il l'a fait croître plus vite que son prédécesseur libéral. Et là où on peut le considérer comme conservateur (sur les questions de défense et de loi et ordre par exemple) c'est dans le sens d'étatiste de droite. Nous sommes revenus au même point qu'il y a vingt ans, quand le gouvernement conservateur étatiste de Brian Mulroney engrangeait les déficits et tentait de se maintenir au pouvoir en créant de nouveaux programmes et en achetant des votes avec l'argent des contribuables.
Les Tea Parties américains sont certainement un phénomène intéressant. Mais le Canada a aussi sa tradition de contestation anti-establishment et anti-étatiste. Sur le plan fédéral à tout le moins, c'est du Parti réformiste qu'on devrait s'inspirer, en apprenant de ses erreurs. Un nouveau Parti réformiste avec un programme tout aussi radical, n'ayant pas peur de défendre des principes clairs ni de choquer les bien-pensants, mais qui laisserait de côté ses positions les plus porteuses de division et serait dirigé par un chef bilingue capable de s'adresser aux Canadiens de toutes les régions du pays, aurait de bonnes chance de rallier cette importante frange de la population qui ne se reconnaît plus dans la politique actuelle.
Le problème a toujours venu que le Parti Réformiste a toujours été dépeint de manière quelque peu fausse à l'est du pays et cela même en Ontario alors qu'il était probablement le seul parti a démontrer des idées claires. Je dois dire que j'ai un peu milité à l'Alliance en 2000 (c'était le parti le moins pire de la gang), et qu'il n'y avait pas grand monde pour partager mes idées. L'ironie du sort est que mon cousin qui était gay m'a justement dit que l'Alliance était un parti anti-homosexuel (ironiquement faux).
Sauf que dans l'ouest, il est évident que le Parti Réformiste a été carrément une révolution, quitte à même battre en 1993 un ancien PM néo-démocrate de la Colombie-Britannique.
Petite correction, cependant, le Parti Réformiste a élu un député en Ontario en 1993.
Rédigé par : Mathieu NV | 26 septembre 2010 à 16h08
@ Mathieu,
Merci, je croyais me souvenir qu'Ed Harper avait été élu en 1997, mais c'était effectivement en 1993. J'ai fait la correction.
Rédigé par : Martin Masse | 26 septembre 2010 à 16h15
Le problème vient cependant que dans le système de vote actuel qui avantage l'Ontario, le PLC a seulement été majoritaire en particulier en 1997 et 2000 à cause de ce jeu d'avoir une division du vote dans l'Ontario rural. Est-ce qu'une réforme du mode de scrutin comme en Australie aurait été la solution?
Rédigé par : Mathieu NV | 26 septembre 2010 à 16h25
Qu'attend Maxime Bernier pour fonder un nouveau parti fédéral?
À moins qu'il attende la venue de Danielle Smith, une fois qu'elle aura réformer l'Alberta ;-)
Rédigé par : Martin | 26 septembre 2010 à 17h27
Pour les intéressés, les données de l'élection de 1996 dans l'ex-circonscription de Papineau-Saint-Michel: http://www2.parl.gc.ca/sites/lop/hfer/hfer.asp?Language=F&Search=Det&Include=Y&rid=938 .
Rédigé par : Le Rationnel | 26 septembre 2010 à 19h05
@ Le Rationnel,
Tiens, en voyant "ministre" dans le tableau comme profession de Pettigrew, ça m'a rappelé qu'il avait été nommé par Jean Chrétien au conseil des ministres avant même d'avoir été élu député, tout comme Stéphane Dion d'ailleurs, lui aussi élu lors de la même élection partielle (il y en avait eu dans quatre ou cinq circonscriptions le même jour).
La circonscription de Papineau-St-Michel était rouge saignant, occupée auparavant par André Ouellet, l'un des hommes forts de Trudeau et ministre des Affaires étrangères sous Chrétien avant de démissionner et d'être nommé à la présidence de la Société canadienne des postes.
Rédigé par : Martin Masse | 26 septembre 2010 à 19h28
Étrange que cela ne soit pas sur Wikipedia!
Rédigé par : Mathieu NV | 26 septembre 2010 à 20h35
@ Le Rationnel:
J'ai réécouté ce vidéo:
"Mario Dumont se met au Bernier Bashing"
http://www.dailymotion.com/video/xd1chf_mario-dumont-se-met-au-bernier-bash_news
L'ADQ et Mario Dumont avaient raisons de vouloir diminuer l'immigration, mais pas pour des raisons ethniques...
Rédigé par : Sébas | 26 septembre 2010 à 21h54
Bonjour les québécois,
Un écueil dont il faut aussi se méfier quand on se lance dans l'action politique selon moi, c'est les opportunistes ceux qui veulent être élus députés, etc... peu importe avec qui ils feront alliance, peu importe qu'ils puissent ensuite défendre les idées libérales/libertariennes ou qu'ils les discréditent par les alliances qu'ils ont passé,etc... aucune importance, ils seront élus, ils auront réussi.
Si on ne met pas les choses au clair dès le départ (pas d'alliance avec qui que ce soit si telle, telle et telle mesures libérales/libertariennes ne figurent pas dans le programme de l'alliance), on attire tout un tas de gens qui sont des libéraux/libertariens de circonstance et qui viennent nous faire perdre du temps (ils passent leur temps à tirer la ligne politique vers un consensus mou, ils combattent ceux qui s'y opposent).
Donc selon moi, pas de parti libéral/libertarien sans une ligne politique libérale/libertarienne MINIMALE mais surtout NON NEGOCIABLE.
Sinon, on perd son temps.
Rédigé par : Le Champ Libre | 28 septembre 2010 à 06h46
Une manière donc les libertariens pourraient se faire élire serait que plusieurs candidats libertariens se présentent sous des bannières péquistes ou libérals et une fois élus changent de champs pour joindre le nouveau parti libertarien du Québec. Ce n’est pas vraiment éthique, mais ça se fait tout le temps.
Une autre manière serait d’aller chercher le vote libéral en créant un parti qui s’appelle le parti libéral québécois. Puisque les libertariens sont en fait des libéraux, je ne vois pas de problème à ça. Une autre manière serait de créer un parti séparatiste, dont chaque vote pour le parti séparatiste serait considéré comme un vote référendaire pour la souveraineté du Québéc. Ceci diviserait le vote péquiste.
Rédigé par : Anne-Marie Provost | 28 septembre 2010 à 09h09