par Martin Masse
L'explication autrichienne des cycles économiques, tout à fait marginale dans les médias conventionnels il y a dix ans lorsque la bulle des nouvelles technologies a éclaté, connaît durant la présente crise une diffusion beaucoup plus grande.
C'est évidemment grâce au travail fabuleux de l'Institut Ludwig von Mises et de ses nombreux collaborateurs (dont, occasionnellement, votre serviteur), mais aussi à cause de la notoriété récente de personnalités comme Ron Paul et Peter Schiff, qui mettaient tout le monde en garde dans les médias et sur les tribunes politiques, bien avant le début de la crise, contre les conséquences néfastes de la bulle immobilière et des politiques inflationnistes de la Fed.
Alors qu'il y a trois ans, très peu de gens, et même très peu de chroniqueurs économiques dans les journaux, s'intéressaient aux questions monétaires, ce sujet semble connaître un regain de popularité. Difficile de l'éviter puisque les problèmes financiers et monétaires des États-Unis, de la Grèce, de l'Irlande, de l'Union européenne, de la Chine et du Japon, font presque quotidiennement les manchettes.
Les gens cherchent des explications logiques, dans un contexte où les solutions keynésiennes/monétaristes - c'est-à-dire inflationnistes - ne semblent pas fonctionner. Et ils les trouvent en nombre croissant dans la théorie économique autrichienne, qui sort rapidement de la marginalité dans laquelle elle se trouvait depuis le triomphe du keynésianisme dans les années 1930 pour reprendre sa place parmi les théories légitimes.
Un exemple frappant de cette tendance est la publication cette fin de semaine d'un article sur le «triomphal retour de Hayek» dans l'une des publications les plus conventionnelles qui soient, l'hebdomadaire américain Newsweek. Le magazine, qui connaît d'énormes pertes et a été vendu pour une bouchée de pain cet été par la compagnie mère du Washington Post, n'est pas reconnu pour sortir des sentiers battus sur les questions économiques, même s'il a eu le mérite de publier des années 1940 aux années 1960 les chroniques d'un des pionniers de l'économie autrichienne dans la presse américaine, le journaliste et auteur Henry Hazlitt.
L'année dernière, le consensus chez les commentateurs était à l'effet que nous sommes tous devenus keynésiens maintenant. Presque tout le monde croyait que la solution de John Maynard Keynes pour sortir de la Grande Dépression - des dépenses publiques élevées pour ressusciter l'économie - permettrait aussi de régler le présent ralentissement de l'économie mondiale. Les premières fissures dans ce consensus sont apparues lors de l'éclatement de la crise budgétaire en Grèce plus tôt cette année. Partout dans le monde développé, des critiques ont commencé à dire que les dépenses des gouvernements avaient atteint le point des rendements décroissants et qu'elles entraînaient une reprise anémique qui profitait surtout à certains groupes de pression. L'électorat a compris le message. De l'Europe aux États-Unis, le keynésianisme a rapidement perdu de sa popularité à mesure que les électeurs se sont mis à appuyer des candidats qui mettaient l'accent sur la discipline fiscale et moins d'interventionnisme étatique.
(...) Bernanke dit qu'il fait tout ce que Milton Friedman aurait suggéré à la Fed de faire. Friedman, le père du monétarisme, avait soutenu que la Grande Dépression avait en grande partie été provoquée par une contraction majeure de la masse monétaire et que des conséquences économiques si funestes auraient pu être évitées si la Fed avait maintenu la quantité de monnaie stable.
Le public n'est pas d'accord. On observe une réaction négative croissante contre l'activisme monétaire de la Fed, pour deux raisons. Il est de plus en plus évident que la Fed peut imprimer tout l'argent qu'elle veut mais qu'elle n'a aucun contrôle sur l'endroit où cet argent va aboutir. Depuis que la Fed a intensifié ses déclarations sur l'assouplissement monétaire cet été, la perspective d'être inondé par du crédit facile à entraîné une hausse des prix des matières premières et des actions dans les marchés émergents. Les discussions vont bon train à Wall Street sur l'émergence de la «prochaine bulle». Par ailleurs, l'activisme monétaire souffre des mêmes lacunes fondamentales que le keynésianisme, dans la mesure où il protège les joueurs inefficaces au lieu de redonner une vigueur renouvelée à l'économie. Dans une déclaration révélatrice de la façon de voir les choses à la Fed, le membre de la Fed de New York Brian Slack disaient récemment qu'avec un peu de chance, l'assouplissement quantitatif allait fonctionner en gardant «les prix des actifs plus élevés qu'ils devraient l'être», ce qui va augmenter l'avoir des ménages. Voilà pourquoi les stimulants monétaires peuvent être si impopulaires: ils profitent souvent aux riches (qui possèdent une part disproportionnée des actifs telles les actions dont les prix sont gonflés) au détriment des plus pauvres (qui sont les plus touchés par l'augmentation conséquente des prix des aliments et de l'énergie).
Signe des temps, certaines des vidéos les plus populaires sur YouTube cette année sont des satires des politiques économiques; la dernière se moque de la Fed, alors que le sentiment se répand que les décideurs succombent à ce que l'économiste Friedrich Hayek appelait «la présomption fatale» en tentant de gérer le cycle économique dans ses plus petits détails. Hayek détestait toutes les sortes d'interventionnisme dans l'économie. Keynes, Friedman et Hayek étaient les principales figures des trois plus influentes écoles de pensée économique du dernier siècle. Hayek était associé à l'école autrichienne, dont l'influence était croissante au 19e siècle et au début du 20e siècle. Cette école préconisait de laisser le secteur privé s'occuper de ramener l'économie sur ses rails lors d'une récession. La foi dans le pouvoir du marché de purger l'économie de ses déséquilibres avait bien servi les États-Unis au 19e siècle, lorsque l'économie émergeait toujours plus forte après chaque récession, mais elle a été poussée trop loin dans la combinaison de politique monétaire restrictive et d'impôts élevés qui ont mené à la Grande Dépression et à la montée des keynésiens.
Le keynésianisme et le monétarisme sont aujourd'hui tous les deux victimes d'une déformation similaire. Keynes n'aurait probablement jamais appuyé les gros déficits budgétaires pendant la période de forte croissance, comme ceux qui ont mené aux crises budgétaires qu'on observe présentement. De la même manière, Friedman n'aurait probablement jamais appuyé le recours récent à la politique monétaire par la Fed comme outil pour forcer une relance économique plutôt que pour simplement amoindrir les effets douloureux de la récession.
La perversion systématique de la pensée de Keynes et de Friedman fait aujourd'hui pâlir leur étoile, laissant Hayek, encore une fois, triompher de ses adversaires.
Je ne suis évidemment pas d'accord avec plusieurs points soulevés dans la fin de cet article. Lors de la Grande Dépression, les hausses de taxes n'étaient certainement pas une prescription autrichienne, et la Fed n'avait pas une politique monétaire restrictive (c'est la thèse erronée de Friedman) mais est plutôt intervenue pour accroître la masse monétaire. Je ne pense pas non plus que le problème avec les politiques keynésiennes et monétaristes actuelles soient le fait qu'elles déforment la pensée des deux économistes, même si on pourrait débattre jusqu'à la fin des temps pour savoir ce qu'ils en penseraient s'ils étaient vivants.
Cela dit, dans la mesure où il reflète une évolution de la perspective des médias conventionnels, l'article est certainement intéressant et marque une autre étape dans le retour en force de la théorie autrichienne.
@Pierre-Yves
Je vois bien la technique. J'avais déjà lu sur le sujet il y a un bout de temps mais je l'avais oublié. C'est une bonne technique qui est utilisé pour changer le sujet du débat mais qui ne donne pas une vraie victoire. Au lieu de débattre de l'idée (ici QE2), le débat change subtillement sur les actions (ou inactions) d'individus dans d'autres domaines n'ayant aucun rapport à l'idée.
J'avais un ami qui faisait ceci il y a plusieurs années. Lorsque je m'en suis rendu compte, je le remettais sur la "track" à chaque fois que le sujet changeait.
Rédigé par : Steven | 11 décembre 2010 à 13h39