par Martin Masse
Bon, je me retrouve encore dans une phase occupée et il me reste peu de temps et d'énergie pour pondre des analyses libertariennes, ce qui explique l'inactivité des dernières semaines sur ce blogue. Mais il y a quand même des choses qui réussissent à me pomper suffisamment pour me sortir de ma torpeur automnale et me forcer à écrire.
La nouvelle qui a eu cet effet aujourd'hui concerne l'entente conclue il y a quelques jours entre le Canada et la Chine pour le prêt de deux rares pandas à des zoos canadiens, dont celui de Granby. Des reportages sont parus au Canada anglais depuis vendredi, avec en prime une photo du ministre fédéral de l'Environnement, Jim Prentice, de son épouse Karen et d'un vétérinaire chinois prenant soin de l'un de ces mignons animaux dans un centre de recherche à Chengdu.
L'article de Postmedia distribué dans plusieurs quotidiens nous explique que
After months of panda diplomacy, federal Environment Minister Jim Prentice and Canadian Embassy officials have secured the Chinese government's pledge to loan two pandas to Canada beginning next year. (...)
"It is very exciting," Prentice said from Beijing. "Everybody loves the pandas." (...)
Some zoos pay as much as $1 million for a short-term loan of the endangered pandas. (...)
Prentice said no price has yet been agreed upon for the latest transfer.
The federal Conservatives have been dabbling in panda politics for several months now, hoping that improved relations over the past year or so would convince Chinese officials to lend two pandas to Canada.
In May, Treasury Board president Stockwell Day presented a panda proposal to high-ranking Chinese politicians.
In July, then-governor general Michaelle Jean also made a pitch to bring the bamboo-eating animals to Canada during a tour of the Chengdu Panda Base with Prentice and other officials, pressing the governor of Sichuan province, home to the vast majority of China's pandas.
Oubliez le déficit de 60 milliards $ du gouvernement fédéral et l'économie mondiale peut-être au bord d'un nouveau précipice: la priorité des conservateurs, c'est de gagner des votes avec des histoires de pandas. Ça coûtera ce que ça coûtera. Et vous pouvez être sûr que ça va coûter un bras.
Le gouvernement a probablement dépensé quelques centaines de milliers de dollars simplement pour défrayer les voyages des personnes mentionnées (c'est pas donné, organiser un voyage de ministre ou de représentante de la reine avec toute sa cour en Chine). Pour l'avoir observé pendant mon séjour à Ottawa, je peux vous assurer que des dizaines de bureaucrates, de responsables des communications, de responsables de la planification des déplacements, de conseillers des ministres, etc., dans les divers ministères, organismes et ambassades ont dû s'échanger des milliers de mémos et de courriels et tenir des dizaines de réunions de planification pendant ces mois de «panda diplomacy» avant de pouvoir faire cette annonce. Additionnez les salaires de toutes ces personnes, et vous avez de quoi nourrir et loger les habitants d'une petite ville pendant une année. Mais ce n'est que du petit change à Ottawa.
Ceux qui nous répètent sans cesse que la civilisation s'effondrerait si on réduisait la taille de l'État vont-ils nous dire que ça fait partie des fonctions essentielles d'un gouvernement? Je les entends déjà: Ah non, ça c'est peut-être un peu exagéré, mais le reste est essentiel.
L'insignifiante de La Presse, Ariane Krol, nous a encore une fois fait la démonstration de ses talents d'éditorialiste critique ce matin en écrivant sur le même sujet. Ce qui l'a accrochée dans cette histoire, c'est le fait qu'on impose de tels déplacements, dans trois zoos différents en dehors de la Chine, aux pauvres toutous: «(...) on peut se demander s'il est nécessaire de lui imposer une telle succession de déplacements. (...) Si le fait de mettre ces pandas en contact avec le public canadien contribuait à enrayer la disparition de l'espèce, on pourrait dire que ces sujets-là se dévouent pour les autres. Mais je suis loin d'être convaincue des effets bénéfiques d'une telle opération.» Misère.
Revenons dans le monde des adultes. L'autre véritable problème avec cette histoire, en plus des coûts faramineux d'une entreprise qui ne devrait pas concerner les politiciens, c'est que comme presque toutes les autres opérations de propagande de ce gouvernement, celle-ci ne vise qu'à manipuler l'opinion publique. Un brillant «stratège» du PMO y a sûrement vu une bonne occasion de mousser la popularité des conservateurs auprès des familles avec plusieurs enfants, qui sont l'une des clientèles cibles du parti.
J'en ai parlé récemment dans un commentaire sous un autre billet, le gouvernement Harper n'a qu'une stratégie depuis son élection, celle d'acheter des votes. Toutes les décisions politiques doivent tenir compte de cet objectif; le fait que ce soit bon ou non pour l'économie ou autre chose est secondaire. Ce passage dans le livre de Lawrence Martin, Harperland, qui vient de paraître, l'explique bien :
After the loss in the 2004 election, Muttart [Note: prénommé Patrick, un stratège du PMO] concluded that the party's potential appeal was depressingly limited. Most Canadians, Tory surveys showed, viewed Harper as a right-winger who opposed same-sex marriage. That was it. So the party commissioned a major psychographics poll, psychographics being the study of market segments in terms of their values and lifestyles. This polling helped show the party potential growth areas.
Muttart studied the numbers and zeroed in on the segments most amenable to a Conservative pitch. He found, for example, that couples with more than two children were much more inclined to vote Conservative than those with small families. (...) The targeting got very specific, right down to ways in which they might be able to help Quebec snowmobilers.
At PMO meetings, Muttart would decorate the wall with illustrations of demographic groups so that whenever a policy was discussed, it could be framed in terms of its appeal to these groups. (p. 94).
Il est fort probable qu'un autre «stratège», celui-là travaillant pour le ministre Prentice, y ait également vu une bonne occasion pour mousser plus particulièrement la popularité de son patron. C'est un secret de Polichinelle à Ottawa que Jim Prentice prépare depuis des années sa candidature à la succession de Stephen Harper, même si on ne connaît pratiquement rien de ses idées, ni de sa personnalité. Les millions dépensés pour amener les pandas au Canada auront servi à disséminer des photos de Prentice et de son épouse dans les médias. Quelle bonne raison pour appuyer le futur chef du parti, n'est-ce pas: il aime les pandas! It's so exciting, everybody loves the pandas!
Voilà comment les choses fonctionnent à Ottawa, avec une bande d'imbéciles sans principe qui tirent les ficelles. Et voilà pourquoi la taille de l'État canadien a continué de grossir depuis cinq ans et nous nous enfonçons toujours plus dans un gouffre financier, l'ex-libertarien qui nous gouverne ayant complètement jeté par-dessus bord tout ce en quoi il croyait jadis.
http://www.theglobeandmail.com/news/national/toronto/ford-wants-private-sector-to-pay-20m-tab-for-toronto-bound-pandas/article1781030/
Rédigé par : Pierre-Yves | 01 novembre 2010 à 16h58
Et je crois que les pandas ne mangent que du bambou (et en grande quantité!). Est-ce qu'on peut faire pousser la bonne variété en quantités suffisantes à Toronto et Granby? Si ce n'est pas le cas, est-ce que Laure Waridel va s'opposer à leur venue?
Rédigé par : Pierre Desrochers | 01 novembre 2010 à 17h16
Un autre très belle analyse!
Merci!
"Panda diplomacy"
=
"Le 19 juillet 64 éclata le grand incendie de Rome. Le feu débuta dans les boutiques des environs du Grand Cirque. Néron était alors en vacances dans sa ville natale, Antium, mais il dut revenir en toute hâte. L'incendie fit rage durant six jours. La rumeur circula que Néron aurait joué de la lyre et chanté, au sommet du Quirinal, pendant que la ville brûlait."
-Tacite, Ann. XV ; Suétone, Néron XXXVIII ; Dion Cassius, R.H. LXII
Rédigé par : Sébas | 01 novembre 2010 à 17h40
Mais enfin, j'ai vu les pandas au zoo de Chongqing, donc est-ce que cela est moins cher de payer un voyage à 500 personnes en Chine pour voir les pandas? Je blague, mais c'est cela est quand même proche de réalité!
Le problème avec le PC est malheureusement du fait que le parti va avec la logique qu'en achetant des clientèles, le parti se maintenir au pouvoir. Plus ça change, plus c'est pareil, le PLC fait la même chose, ça va quarante ans qu'ils font cette tactique! Et pour le NPD, faudrait en parler à Tarek Fatah qui a quitté ce parti et le PLC du fait que le parti essayait de faire la cour à des groupes religieux assez discutables. Or, bien que je crois à la liberté de croyance, la religion et l'état vont très mal ensemble!
Malheureusement, le problème vient que les gens veulent visiblement un parti qui est constant. Malheureusement et je sais que Martin va me dire que cela n'est pas vrai, c'est que l'espace idéologique partisan au Canada est pro propice à amener des situations comme en Grande-Bretagne. En fait, est-ce que le Realpolitik aurait été différent si un parti libéral classique ou bien un parti pro-décentralisation aurait eu 20 sièges à la Chambre des communes?
@Pierre-Yves:
Je dois dire que Ford est constant sur ce point.
Le plus ironique c'est que Mammoliti est un ancien néo-démocrate!
Rédigé par : Mathieu NV | 01 novembre 2010 à 18h42
Superbe billet!
Tout de même, je pense que Krol a raison dans son point, mais Martin Masse a soulevé avec justesse le point le plus scandaleux!
Aussi bien garder Harper plutôt que d'avoir ce schizoïde de Prentice comme chef!
Je ne suis pas un grand amateur du maire Ford, mais là, il a bien raison. Heureusement! C'est rendu que les maires devront gérer le fédéral! ;)
Rédigé par : David Gendron | 01 novembre 2010 à 20h09
@David Gendron:
"Je ne suis pas un grand amateur du maire Ford, mais là, il a bien raison. Heureusement! C'est rendu que les maires devront gérer le fédéral!"
Pas de problème avec ça: principe de subsidiarité. Prouvé dans de nombreuses municipalités et métropoles, ou par exemple les fusions n'ont jamais permis de sauver quelque argent que ce soit.
Rédigé par : Pierre-Yves | 02 novembre 2010 à 16h54
Entre l'obsession des pandémies et les risettes aux pandas, on peut dire que la nouvelle religion mondiale est le pandéisme...
Excusez-là, mais elle était vraiment trop facile !
Rédigé par : B. Vallée | 02 novembre 2010 à 18h17
Jim Prentice quitte la politique pour devenir vice-président à la CIBC
http://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/services-financiers/jim-prentice-devient-vice-president-a-la-cibc/520210
Rédigé par : Hugo | 04 novembre 2010 à 15h23
@Hugo:
Probablement que son but premier était de remplacer Flaherty. Mais «Decifit» Flaherty reste encore.
Honnêtement, je crois qu'il a fait un Philippe Couillard tout en excluant pas un retour à la chefferie. Il voulait être le futur chef, mais il voit que d'autres personnes (Lord, Kenney, Moore ou même Bernier) ont des meilleures chances que lui de remplacer le PM actuel.
Rédigé par : Mathieu NV | 05 novembre 2010 à 15h01