par André Dorais
Chris Leithner est un investisseur professionnel en valeurs mobilières. D'origine canadienne, il vit en Australie depuis plusieurs années. Il collabore à l'occasion au Québécois Libre depuis plusieurs années.
Son travail consiste à chercher les entreprises sous-évaluées pour y investir à la fois ses propres fonds et ceux qui lui sont confiés par les actionnaires de sa compagnie, fondée en 1999 à Brisbane, en Australie. Pour identifier ces entreprises, il s'appuie sur les critères préconisés par deux maîtres de l'investissement, soit feu Benjamin Graham et Warren Buffett. Son approche se distingue de la leur, cependant, dans la mesure où il se préoccupe des interventions gouvernementales, notamment monétaires, dans l'économie. À en juger par les rendements qu'il a obtenus jusqu'à présent, cette façon d'investir lui porte fruit (voir ici les tableaux des pages 6 - note 5 - et 18).
Leithner s'y connaît également en économie et en histoire de l'économie. Son dernier livre, The Evil Princes of Martin Place, en constitue la preuve. Martin Place est le haut lieu de la finance en Australie. On y trouve notamment la banque centrale et les sièges sociaux des plus grandes banques du pays. Ce livre de quelque 350 pages n'aborde toutefois les questions financières locales que sur deux chapitres, sur un total de seize. Et encore, les critiques émises par l'auteur envers quelques acteurs locaux pourraient aussi bien être adressées aux autorités européennes et américaines tellement celles-ci préconisent les mêmes remèdes pour sortir de la crise. Ces chapitres se trouvent à la fin du livre, car ils proposent une façon d'investir à partir des connaissances historiques et économiques établies lors des chapitres précédents.
Bien que le but premier du livre soit d'expliquer la dernière crise économique mondiale, on peut le considérer comme un abrégé de l'histoire monétaire des 100 dernières années tellement Leithner se sert de celle-ci pour expliquer celle-là. Par ce recours à l'histoire, l'auteur démontre qu'une bonne compréhension de la dernière crise permet également d'expliquer les crises qui l'ont précédée. Autrement dit, la responsabilité de ces crises n'est pas attribuable uniquement à quelques individus, comme on tente souvent de le faire croire, elle est systémique. Une large part de cette histoire fascinante est consacrée à la théorie monétaire. Considérant que la politique monétaire est contrôlée par l'État et que la finance en est tributaire, il s'agit d'un choix judicieux.
Comme tous les monopoles, celui de la monnaie impose ses diktats. Les banques sont encouragées à maintenir dans leurs coffres uniquement une partie de l'argent des déposants, et à prêter et à investir le reste. À cause de cette politique, connue sous le nom de «réserves fractionnaires», les banques sont toujours en manque de liquidité. C'est la principale raison qui explique que lorsqu'une d'entre elles est mise à mal, les gouvernements se précipitent pour lui venir en aide dans le but d'éviter que soit dévoilée au grand jour cette fraude légalisée qui, si elle était reconnue comme telle, conduirait la plupart des banques à la faillite.
Comme le souligne l'auteur, un manque de liquidité est à différencier de l'insolvabilité. Il y a insolvabilité lorsqu'une firme consomme plus de ressources qu'elle en produit, alors qu'il y a manque de liquidité lorsque les sorties d'argent dépassent les entrées d'argent à un moment inopportun. Par exemple, une entreprise peut être riche en actif et faible en dette, mais si elle ne peut respecter ses contrats, c'est-à-dire si elle ne peut pas payer ses créditeurs et fournisseurs au temps convenu, alors elle est conduite à la faillite. Ce n'est pas le cas des banques, du moins des plus grosses d'entre elles.
Les banques manquent constamment de liquidités, mais elles sont rarement en faillites, car les gouvernements viennent à leur rescousse notamment par l'entremise de leur monopole sur la monnaie. Il y a donc injustice dans le fait de traiter le secteur bancaire différemment des autres secteurs d'activité. Cette injustice se double d'une inefficacité à produire de la richesse pour l'ensemble des consommateurs.
Suivant ce constat, les solutions aux crises économiques sont évidentes: on doit abolir le monopole d'État sur la monnaie et exiger, sous peine d'amende, que les réserves des banques soient entières plutôt que fractionnaires. En d'autres mots, on doit exiger qu'elles soient liquides en tout temps. Cela implique en revanche de distinguer plus nettement le dépôt du prêt et de rétablir les libertés de choisir et d'émettre sa propre monnaie. Si cela devait arriver, il y a fort à parier que l'or et l'argent métallique seront de nouveau rétablis comme monnaies principales.
The Evil Princes of Martin Place s'adresse à tous malgré ces nombreux tableaux remplis de ratios financiers. Les économistes y trouveront une riche source d'information mais aussi, à n'en pas douter, également de frustrations, car plusieurs des principales idées reçues de leur science sont constamment remises en question. À lire et à étudier!
"exiger, sous peine d'amende, que les réserves des banques soient entières plutôt que fractionnaires"
Tous les "Autrichiens" ne sont pas d'accord avec ça, il s'agit "seulement" du point de vue rothbardien.
Pascal Salin et d'autres défenseurs du système de free banking pensent qu'une banque libre pourrait proposer à ses clients des comptes de dépôt à réserves fractionnaires tant que le client en est averti et acepte donc le risque de perdre tout ou partie de ses liquidités en cas de bank run (car évidemment il n'y aurait pas de sauvetage de la part de l'Etat, ni de garantie étatique des dépôts dans un système de free banking).
L'emission de monnaie fiduciaire non adossée à de la monnaie réelle serait naturellement limitée d'une part par les clients qui toutes choses égales par ailleurs auraient plutôt tendance à s'orienter vers les monnaies de dévaluant peu (conséquence d'une trop grande émission de monnaie) et d'autre part (surtout?) par les mécanismes de compensation inter-bancaires. Le tout sans besoin de coercition étatique ni d'entrave à la liberté contractuelle.
Autre avantage: une flexibilité plus importante qu'avec les réserves fractionnaires à 100%, qui effectivement empêchent toute forme de malinvestissements au sens de Mises, mais qui je pense auraient trop tendance à restreindre l'investissement, notamment en cas de rupture technologique ou tout autre événement provoquant une hausse rapide des besoins en capitaux (qui provoquerait une importante hausse des prix en cas de masse monétaire à taille fixe, comme c'est le cas avec les réserves fractionnaires à 100%).
Évidemment, on ne parle pas ici de la "fausse" flexibilité du système actuel, centralisé, monopolistique et destructeur de l'information-prix de la monnaie ayant pour conséquence une forte instabilité du système économique (ABCT etc.), mais d'un système libre, conduisant donc à une allocation optimale des ressources monétaires.
Rédigé par : Mateo | 03 février 2011 à 14h46
"qui provoquerait une importante hausse des prix en cas de masse monétaire à taille fixe, comme c'est le cas avec les réserves fractionnaires à 100%"
Il fallait lire: "qui provoquerait une importante BAISSE des prix en cas de masse monétaire à taille fixe, comme c'est le cas avec les réserves fractionnaires à 100%"
Mais du coup la remarque ne sert plus à grand chose :D
Rédigé par : Mateo | 03 février 2011 à 17h37
Cette revue était agréable à lire et donne envie de se précipiter pour acheter le livre (ou le commander, ou suggérer à notre bibliothèque de quartier de le faire), le ton didactique, posé, y contribue grandement. Petite réserve, on ne sait pas vers la fin si la conclusion suivante : «Si cela devait arriver, il y a fort à parier que l'or et l'argent métallique seront de nouveau rétablis comme monnaies principales.» est du cru de l'auteur de la revue ou si c'est celle de Leithner.
Autre point positif, spécifier que le livre s'adresse à tous, mais que même les économistes y trouveront leur compte.
Rédigé par : l'engagé | 03 février 2011 à 20h18
Deux remarques :
1. "Les banques sont encouragées à maintenir dans leurs coffres uniquement une partie de l'argent des déposants, et à prêter et à investir le reste. À cause de cette politique, connue sous le nom de «réserves fractionnaires», les banques sont toujours en manque de liquidité."
La situation est pire que ce que vous décrivez. Si seulement les banques prêtaient une fraction des sommes effectivement déposées chez elles ! Le problème est en réalité plus grave que cela : les banques prêtent PLUS que les sommes déposées chez elles : elles ne disposent que d'une fraction des réserves en garantie des crédits qu'elles accordent. C'est là où se situe véritablement la fraude...
2. Des réserves fractionnaires à 100 % est un oxymore ; les réserves fractionnaires sont inférieures à 100 % ; sinon, les réserves sont entières, non fractionnaires.
Deux recommandations de lecture :
- Maudit argent, de Frédéric Bastiat :
http://journal-libertas.blogspot.com/2011/01/un-nouveau-bastiat-en-vente.html
- L'or comme monnaie naturelle :
http://journal-libertas.blogspot.com/2009/05/l-or-comme-monnaie-naturelle.html
Rédigé par : Libertas | 07 février 2011 à 02h49