par Carl-Stéphane HuotLe retrait du Canada du protocole de Kyoto à la mi-décembre 2011 a choqué beaucoup de monde ici comme à l'étranger. Certains, comme le député Daniel Turp, ont même déposé une procédure en cour pour forcer le gouvernement fédéral à réintégrer le traité. Pourtant, personne n'a réfléchi à une réalité toute simple: une taxe sur le carbone, quelle que soit sa forme, ne peut pas fonctionner. Voici pourquoi.
Depuis l'an dernier, on parle beaucoup du Plan Nord, un gigantesque projet de développement des parties nord du Québec, incluant l'ouverture de plusieurs mines. Certains se sont demandés pourquoi nous n'en profitions pas pour ouvrir des sidérurgies pour transformer ce minerai ici plutôt qu'en Chine. La raison première est qu'il y a aujourd'hui une large surcapacité de production sidérurgique. Alors que la demande en 2011 a été d'environ 1,5 milliard de tonnes, la capacité, elle, s'approche de 2,2 milliards de tonnes, plusieurs pays du tiers-monde ayant notamment misé sur la sidérurgie pour se développer. Résultat? Les marges de profit ne sont que de 25$ par tonne, alors qu'il faut investir 1000$ par tonne de capacité annuelle. C'est trop peu pour le risque pris.
Mais même sans cela, personne ne songerait à installer une sidérurgie au Québec avec l'arrivée prochaine d'une bourse du carbone. Cela réduira, voir éliminera toute possibilité de profit dans ce secteur. En effet, le minerai entre dans une sidérurgie sous forme d'oxyde de fer (fer lié à de l'oxygène) qu'il faut séparer en le faisant réagir avec du carbone à haute température. (Pour le fer, on utilise une variété de charbon appelée coke.) Par la suite, on réduit le pourcentage de contenu en carbone de la fonte ainsi obtenu pour obtenir la recette finale d'acier. Il en résulte une émission de 2,2 tonnes de CO2 pour chaque tonne d'acier produite.
Les possibilités de réduire ces émissions ne sont pas aussi grandes que certains pourraient l'espérer. Par exemple, les écologistes font la promotion de la sidérurgie à l'oxygène pur, qui consiste à utiliser de l'oxygène pur plutôt que de l'air pour enlever l'excès de carbone dans la fonte. En théorie, cela économise de l'énergie parce que cela élimine le chauffage de l'azote présent dans l'air. Mais cette méthode est souvent inutilisable parce qu'il y a d'autres impuretés comme le soufre et le phosphore qui sont comptabilisés dans l'équation. Leur combustion dégage beaucoup d'énergie, qui, ajoutée à la combustion du carbone, fait augmenter considérablement la température du creuset et risque de le détruire, les briques réfractaires qui le tapissent ayant une résistance limitée alors que l'acier sort de celui-ci pour être coulé à 1500°C. Il faut donc que le minerai de départ ait un contenu assez bas en ces éléments pour que la méthode soit utilisée. De toute façon, cette méthode est déjà utilisée lorsque possible.
On peut donc s'attendre à deux grandes réactions des entreprises. Premièrement, demander carrément à leurs employés de payer ladite taxe à même leur salaire. Deuxièmement, en cas de refus, simplement fermer les unités de production pour les envoyer dans des pays pauvres. L'un des objectifs de la direction de Rio Tinto Alcan dans l'actuel conflit à Alma est probablement de récupérer les frais à venir sur cette taxe. Même si l'usine demeure rentable, il n'en demeure pas moins qu'elle serait en première ligne des fermetures en cas de baisse de la demande, lors d'une récession par exemple, ce qui arrivera tôt ou tard. Si cela fait effectivement baisser nos émissions de CO2, ce n'est pas qu'elles disparaîtraient comme par magie: elles seraient simplement déplacées d'une place à l'autre.
Le modèle suédois
Les environnementalistes citent souvent la Suède comme exemple à suivre pour réduire la quantité de CO2 par habitant. La Suède émet entre 33 et 43% du CO2 par personne produit au Canada, selon la méthode de calcul, tout en étant un pays aussi avancé et assez froid. En y regardant de plus près, ce n'est pas nécessairement aussi évident. En effet :
• L'hiver suédois est loin d'être aussi rigoureux que ceux du Canada. Ainsi, Stockholm n'a qu'une moyenne hivernale de -2 contre -15 à Québec, ce qui réduit les besoins en chauffage pour une même résidence de 37%. Il en découle aussi qu'il est plus économique en Suède de réduire de, disons, 30% les besoins en chauffage par isolation, et ce d'autant que le prix de l'énergie y est beaucoup plus élevé qu'ici, soit 14 cents/kWh contre 7,3 cents au Québec et 10 cents en Amérique du Nord.
• La Suède produit autour de 45% de son énergie à l'aide du nucléaire et est un importateur net d'énergie à hauteur de 35%. Elle ne produit même plus 5000 barils de pétrole par jour. Le Canada produit environ le quart de son électricité à l'aide du charbon, ce qui augmente nos émissions de 5,5 tonnes par habitant (environ 11 tonnes aux États-Unis). Ce choix vient du fait qu'il s'agit d'une ressource locale abondante et relativement peu coûteuse. (La taxe carbone entraîne ici un de ses propres paradoxes. Il existe une technologie moins émettrice, qui utilise la gazéification du charbon et qui permettrait de réduire de près de 45% les émissions de CO2. Mais dû aux risques liés à une taxe carbone, aucun prêteur ne veut prendre le risque d'investir là-dedans, ce qui fait que nous devons continuer d'utiliser les vieilles centrales pour encore bon nombre d'années.) Le Canada est aussi un exportateur net d'énergie, produisant par exemple près de 4 millions de barils de pétrole par jour.
• Les entreprises de la Suède, où presque tous les travailleurs sont syndiqués, n'ont pas mécanisé autant leur appareil industriel qu'au Canada. La productivité s'en ressent beaucoup, étant de presque 30% inférieure en Suède. Partant de là, l'économie suédoise s'est spécialisée dans des secteurs qui produisent de bons revenus sans nécessairement utiliser beaucoup d'énergie comme l'automobile, la pharmaceutique et les télécommunications. Il en découle aussi que le niveau de vie, en tenant compte du pouvoir d'achat, est de 10% inférieur en Suède, ce qui réduit d'autant les émissions.
• Enfin, nous pouvons aussi noter une différence de calcul dans les émissions. La Suède se permet de déduire de ses émissions les arbres qui sont replantés par son industrie forestière alors qu'au moins une des méthodes utilisées par les écologistes au Canada ne le permet pas. Cela pourrait à terme détruire entièrement notre industrie forestière, à cause de la différence de niveau de taxe appliqué.
Conclusion
En théorie, l'ajout d'une taxe sur le CO2 semble séduisante, parce qu'elle est sensée mettre de la pression sur les entreprises et les citoyens pour qu'ils adoptent des comportements au moins jugés plus verts. Mais en pratique, cette taxe manquera son but. Essayer de fausser les prix et les marchés, aussi honorables que soient les raisons, n'est jamais une bonne idée. Ce sera encore le cas cette fois.
Je ne comprends pas le sens de cette phrase : "La Suède se permet de déduire de ses émissions les arbres qui sont replantés par son industrie forestière alors qu'au moins une des méthodes utilisées par les écologistes au Canada ne le permet pas".
Pouvez-vous expliciter ?
Rédigé par : Marianne | 21 avril 2012 à 06h42
La plantation d'arbres est assez bien reconnue comme ce que l'on appelle des puits de carbone qui absorbent du CO2. Selon certaines méthodes de calcul des émissions, il est possible de déduire une certaine quantité de CO2 pour chaque arbre planté, mais il faut par contre en ajouter pour chaque arbre coupé. C'est comme celà par exemple que certains artistes procèdent pour faire des tournées dites carbone neutre. Or, selon certains environnementalistes politiques, il ne faut pas permettre aux entreprises de déduire du carbone pour ne pas fausser le marché, à la baisse du moins. Au Canada, les entreprises replantent 80% des arbres coupés pour accélérer la reforestation. Cela leur permet aussi de réduire leurs émissions, sauf dans les méthodes de calcul où cela ne leur est pas permis. Ce genre d'artifice, en faisant augmenter le coût de coupe des arbres au Canada contre une baisse en Suède, rend beaucoup moins compétitive l'économie forestière canadienne. En fait, une différence d'une tonne dans le calcul à 35$ la tonne sera suffisante pour permettre à la Suède d'éliminer le Canada du marché des produits forestiers, ce qui est loin d'être innocent, sans pour autant que l'on puisse dire que le niveau des émissions ait baissé. Pour donner l'ampleur du problème de calcul, sachez que selon la méthode, l'évaluation va de 17 à 23 tonnes par habitant au Canada. Au niveau mondial, les évaluations s'échelonnent entre 30 et 42 millards de tonnes d'émissions globales, ce qui fait tout de même une différence de 420 milliards de dollars comptés à 35$. De quoi entraîner de nombreuses disputes commerciales le cas échéant, les plus "imaginatifs" des pays dans leur calcul s'attirant les foudres des pays plus respectueux de l'esprit des traités internationaux en la matière.
Rédigé par : Carl-S. Huot | 21 avril 2012 à 11h01
M. Huot
Vous connaisser bien et maitrisé bien votre sujet, et très bien vulgarisé, surtout un avis impartial. félicitation
Rédigé par : Sylvain | 23 avril 2012 à 10h21
Excellente analyse! Bravo
Rédigé par : David M. | 25 avril 2012 à 13h13