Voilà une belle occasion de revisiter deux articles de Martin Masse publié dans les pages du QL en février 2001 et sur le Blogue du QL en septembre 2010.
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Économie sociale ou gaspillage socialiste?
La ministre au grand coeur Louise Harel et ses compères Diane Lemieux et André Boisclair annonçaient il y a quelques jours à Montréal l'octroi de nouveaux fonds publics au secteur dit de l'«économie sociale», ainsi qu'une entente régionale qui permettra d'«assurer une utilisation plus efficace des services et mesures actuellement disponibles dans les ministères concernés.»
On se souviendra que l'économie sociale est entrée en grande pompe dans le jargon bureaucratique et politique lors du fameux Sommet sur l'économie et l'emploi de 1996, la grand-messe corporatiste organisée par le nouveau premier ministre d'alors (Lucien Bouchard, pour ceux qui l'auraient déjà oublié) pour trouver des «consensus» sur les façons dont l'État pourrait intervenir pour relancer l'économie québécoise. Le gouvernement avait trouvé une bonne façon de se faire des alliés chez les groupes communautaires en accordant beaucoup d'attention à Nancy Neantam, infatigable propagandiste de ce nouveau type de développement économique. Enfin... nouveau n'est peut-être pas le mot le plus approprié.
Le communiqué de presse du ministère des Affaires municipales et de la Métropole identifie l'économie sociale comme «les activités et les organismes issus de l'entrepreneuriat collectif sur la base des principes suivants: services aux membres ou à la collectivité, autonomie de gestion, processus de décision démocratique, primauté des personnes et du travail sur le capital, participation, prise en charge et responsabilité. Les entreprises de l'économie sociale produisent des biens et des services socialement utiles. Elles sont viables financièrement et procurent des emplois durables. Leurs sources de financement sont diversifiées et elles génèrent des revenus autonomes.»
Si l'on se fie à cette définition, il ne semble pas y avoir grand-chose qui différencie une entreprise privée ordinaire régie par les lois habituelles du marché dans une économie capitaliste d'une entreprise du secteur de l'économie sociale. Il est vrai que le concept d'«entrepreneuriat collectif» est plutôt bizarre, mais bon, venant d'apparatchiks socialistes qui placent les qualificatifs «collectif» et «social» après n'importe quel mot, il n'y a pas de quoi s'étonner.
Les entreprises d'économie sociale sont concentrés dans des secteurs de services comme l'aide aux personnes âgées à domicile, l'alimentation, etc., ce qui permet aussi de les qualifier de «socialement utiles». Mais si les entreprises privées produisaient des choses «socialement inutiles», comment donc réussiraient-elles à les vendre, à faire des profits et à survivre? La distinction n'a aucun fondement ni pertinence.
Non, ce qui détonne surtout dans cette définition, c'est la «primauté des personnes et du travail sur le capital». N'est-ce pas là un noble idéal? Au lieu d'avoir des préoccupations bassement monétaires, les entreprises d'économie sociale, nous dit-on, se préoccupent des besoins du vrai monde, en particulier de leur trouver du travail. La réinsertion au marché du travail de personnes sans emploi est en effet l'un des buts premiers de ces entreprises. Pour un défenseur du capitalisme comme votre serviteur, il est évident qu'il y a un problème là-dedans...
Démoniaque Capital
La connotation démoniaque que la gauche a affublé au concept de capital (le Capital avec un C majuscule pour les marxistes) est certainement l'une des attitudes intellectuelles les plus profondément imbéciles de cette mouvance idéologique. Elle est la preuve, s'il en fallait une, que les gauchistes ne comprennent strictement rien au processus de développement économique sur lequel ils palabrent avec tant de ferveur.
Qu'est-ce donc que le capital? Le terme a plusieurs acceptions spécifiques, mais du point de vue de l'acteur économique, ce sont des ressources qui ne servent pas à la consommation immédiate mais plutôt à accroître la capacité productive à plus long terme. Le capital provient nécessairement de revenu qu'on a épargné. Si tout le monde dans une économie donnée consomme immédiatement tout ce qui est produit et ne met aucun surplus de côté, il ne peut y avoir d'accumulation de capital. Conséquemment, aucune ressource ne peut être investie dans de nouveaux outils, de nouvelles machines, de nouvelles technologies, de nouveaux produits, de nouvelles usines, etc. Les processus économiques ne peuvent se renouveler, on produit toujours la même chose, comme des chasseurs-cueilleurs préhistoriques ou des paysans qui vivent constamment au bord de la famine et ne changent rien à leurs façon de faire de génération en génération.
Dès qu'on vit au-dessus de ce niveau minimal de subsistance, on peut toutefois commencer à accumuler du capital et à l'investir dans des méthodes plus productives. Ainsi, le paysan qui récolte plus de nourriture qu'il n'en a besoin pour nourrir sa famille (ou qui se prive de consommer d'une façon ou d'une autre pour accumuler un peu d'épargne) peut se permettre de s'acheter une bête ou des outil de labour, ce qui le rendra plus productif et augmentera sa récolte l'année suivante. Quel que soit le stade de développement, c'est en se privant de consommation à court terme et en investissant une partie de son revenu dans une production plus grande qu'on peut s'enrichir et donc se permettre de consommer davantage plus tard. Sans capital, il ne peut y avoir de développement économique.
Dans une société riche comme la nôtre, des tas de gens ont des épargnes et les ressources qui peuvent être investies sont énormes si on les comparent à celles d'une économie agraire primitive. Mais comme elles sont également en forte demande, elles restent rares, comme toute ressource qui n'est pas infinie. Des millions d'entreprises existantes et potentielles voudraient bien pouvoir emprunter sans limite à des taux d'intérêt de 0,1%. La rareté relative du capital fait pourtant en sorte que les taux d'intérêt sont beaucoup plus élevés et que ce sont les projets qui ont le potentiel de rapporter le plus qui ont le plus de chance de se voir confier ces fonds.
Parce que le capital est rare, il serait en effet absurde de le consacrer à des projets qui ne produiront qu'une augmentation de richesse marginale, alors que d'autres projets potentiellement plus profitables devront s'en passer. Les investissements qui auront pour effet d'augmenter la production des biens et services les plus en demande – ce dont on aura la preuve lorsqu'ils généreront des profits élevés – sont ceux qui doivent avoir la priorité. Évidemment, l'avenir est incertain, tout projet est de par sa nature risqué, mais les investisseurs qui risquent leur propre capital ou qui jouent leur propre salaire et leur emploi en le faisant pour d'autres ont intérêt à porter les jugements les plus judicieux possibles. Ce qui n'est bien sûr pas le cas des politiciens et des bureaucrates.
Demi-vérités et propagande
Revenons donc à nos moutons sociaux. On nous dit que «les entreprises de l'économie sociale produisent des biens et des services socialement utiles». Si ces biens et services sont tellement utiles, tellement en demande, il devrait être relativement aisé de trouver du financement pour ces entreprises. Les investisseurs ne sont pas des imbéciles, s'ils voient un rendement alléchant quelque part, ils y mettent leur capital, que ça s'appelle économie sociale ou économie capitaliste. Or, comme l'explique l'article de La Presse qui rapporte la nouvelle mentionnée plus haut, «leur constant défi est de trouver du financement et gérer leurs fonds, difficulté qui pourrait être aplanie avec une nouvelle entente de régionalisation signée hier.»
Voilà bien le coeur du problème. Les entreprises d'économie sociale ne produisent en fait rien qui soit très en demande, en tout cas pas suffisamment pour que les consommateurs soient prêts à en payer le coût véritable sur le marché, ce qui nécessite qu'on les subventionne pour qu'elles survivent. Si elles peuvent accorder la «primauté des personnes et du travail sur le capital», c'est donc pour une raison bien simple: elles n'ont pas à prouver quoi que ce soit sur le marché financier pour obtenir du capital, c'est le gouvernement qui le siphonne de l'économie privée pour leur remettre sans aucune préoccupation de rendement.
Voici le bilan des annonces des gentils ministres, tel que décrit dans le communiqué de presse:
(...) le ministère des Affaires municipales et de la Métropole injecte 750 000 $ sur une base annuelle, somme qui s'ajoute aux 2,5 M$ déjà versés. Pour sa part, Emploi-Québec assurera un soutien financier pouvant atteindre 2 M$ par le biais de la mesure Subvention salariale. Dans le cadre de l'entente spécifique, Emploi-Québec assouplira les modalités d'application de la mesure Subvention salariale permettant le financement de postes pour une troisième année, assurant ainsi la sauvegarde des emplois en vue d'une consolidation des entreprises d'économie sociale. Le Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail réservera 1 M$ à l'économie sociale par l'entremise du budget alloué à la région de Montréal. Enfin, le CRDIM accorde 300 000 $ à l'entente afin d'assurer le développement et la promotion de l'économie sociale.
Parmi le ramassis de demi-vérités et de propagande mensongère que comprend ce communiqué, on dit pourtant ailleurs que les entreprises de l'économie sociale sont «viables financièrement et procurent des emplois durables»; pourquoi alors leur donner tant d'argent et étirer la durée des subventions salariales? On dit également que «leurs sources de financement sont diversifiées»; elles sont tellement diversifiées en effet que, selon Le Devoir, l'entente annoncée prévoit que ce sont les Centre locaux de développement qui serviront désormais de porte d'entrée pour les demandes, de telle sorte que «les entrepreneurs sociaux n'auront plus à courir d'un organisme à l'autre pour adhérer à un programme gouvernemental ou pour réclamer une subvention».
La conclusion est facile à tirer. Les soi-disant entreprises de l'économie sociale ne sont en fait que des organismes communautaires patentés qui visent à offrir des emplois subventionnés, artificiels et temporaires à quelques décrocheurs et chômeurs, et à entretenir des parasites professionnels comme Nancy Neantam et les faux gestionnaires qui administrent ces fausses entreprises. Ces machins n'ont aucune véritable utilité économique ni sociale, et en gaspillant des fonds publics qui auraient été mieux investis ailleurs, détruisent du capital nécessaire à notre développement économique. L'économie sociale, comme toutes les autres pratiques interventionnistes de ce gouvernement, ce n'est en bout de ligne que du gaspillage socialiste.
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Les parasites sociaux de l'économie sociale
Le discours économique des gauchistes est fondamentalement schizophrénique. D'une part, il met l'accent sur la solidarité sociale, la redistribution de la richesse, le rôle central du secteur public, la primauté des individus sur le capital. D'autre part, les gauchistes comprennent qu'ils doivent justifier leurs activités pour éviter de se faire accuser de gaspiller des fonds publics. En même temps qu'ils dénoncent les méfaits du «néolibéralisme» et l'oppression qu'exerce le marché sur les citoyens, ils se sentent obligés d'utiliser les notions d'efficacité et de rentabilité en défendant leurs décisions ou leurs actions.
C'est tout particulièrement le cas de cette bibitte nommée «économie sociale» (ou «économie solidaire»), un terme absurde en soi qui laisse entendre qu'il puisse exister une économie non sociale, une économie qui s'impose aux individus de l'extérieur de la société. Un terme qui ne peut avoir un sens que si l'on croit, comme le font les gauchistes, que le marché (qui ne désigne pourtant que les interactions entre individus libres) est une force extérieure à la société, ou que le capital (qui réfère à des ressources mises de côté par les individus pour investir au lieu de consommer) est lui aussi une entité maléfique qui exploite les citoyens.
Dans Le Devoir de ce matin, on chante encore une fois les louanges de la grande prêtresse québécoise de l'économie sociale, Nancy Neantam, sous le titre: «Marginale, l'économie sociale? Plus de 755 millions de dollars ont été investis entre 1996 et 2005». Hoouuuuh, grosse cagnotte! Ça marche l'économie sociale! Ça rapporte! Ça fait rouler l'économie!
Mme Neantam ne cache pas son aversion pour l'économie de marché, qu'elle associe évidemment à «la logique des Thatcher et Reagan». Son modèle est une «solution de rechange au néolibéralisme». Comme tous les illettrés économiques gauchistes, elle n'a jamais entendu parler des manipulations monétaires des banques centrales ni des interventions réglementaires des gouvernements qui ont entraîné la présente crise et blâme plutôt le marché.Elle poursuit avec un autre cas extrêmement frappant pour faire ressortir les différences entre le modèle de l'économie solidaire et celui qui a ébranlé la structure économique mondiale en 2008. Cet exemple est celui de l'habitation aux États-Unis, où «le marché» a permis la vente de maisons fastueuses à des gens pratiquement sans argent, grâce en bonne partie au montage financier des PCAA (produits adossés à des actifs) qui s'est effondré comme un château de cartes, alors qu'ici le logement créé par l'économie solidaire est demeuré tout à fait solide.
Solidaire = solide. Get the idea?! La moitié de l'article cherche à démontrer que contrairement à l'inefficace marché qui s'effondre au moindre coup de vent, ça fonctionne l'économie solidaire, ça entraîne des investissements, ça crée de l'emploi. Mais comment donc? Avec quel «capital», puisqu'il faut bien en avoir si l'on veut créer quoi que ce soit? Pas besoin de chercher loin. C'est celui que nous sommes tous forcés par le gouvernement d'épargner pour que Mme Neantam et ses amis puissent l'investir à notre place. Ce capital-là, c'est sans doute du capital «social» ou «solidaire», pas du méchant capital néolibéral extérieur à la société, mais du capital bien à nous, du capital collectif. Ainsi,
le Chantier a convaincu en 2006 gouvernements et partenaires socio-économiques de mettre 52,8 millions dans un fonds dont la gestion est assumée par une fiducie, qui jusqu'à maintenant a autorisé des investissements de 16,3 millions dans 52 entreprises, lesquelles maintiennent près de 1500 emplois, ce qui a généré des investissements totaux de 132 millions.
Et
il y a aussi le Réseau d'investissement social pour le capital de risque (RISQ), lancé en 1997 avec un fonds de 10 millions, une moitié provenant du gouvernement québécois, l'autre étant fournie par Jean Coutu, la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins, Alcan et quelques autres. En avril dernier, le gouvernement ajoutait 5 millions à des fins de prédémarrage. Depuis sa fondation, le RISQ est intervenu dans 577 projets de financement pour un montant de 13 millions dans des entreprises de l'économie solidaire offrant 7800 emplois pour des postes permanents, occasionnels ou d'insertion.
Pour arriver au 755 millions $ mentionnés dans le titre, on doit par ailleurs inclure le Fonds de solidarité de la FTQ et d'autres fonds similaires qui créent de grandes quantité de capital solidaire grâce aux généreux privilèges fiscaux accordés par les gouvernements.
(...) Mme Neamtan situe son engagement social dans un fort courant qui a suscité diverses initiatives, notamment la création du Fonds de solidarité FTQ. Plusieurs autres instruments financiers ont vu le jour dans les années subséquentes, si bien qu'on estime à plus de 755 millions les sommes investies dans les entreprises d'économie sociale entre 1996 et 2005.
On nous dit que le Chantier de l'économie sociale vise à «faire ce que personne d'autre ne peut faire». Mais pourquoi les autres ne peuvent-ils donc le faire? Peut-être parce que compte tenu des ressources financières et autres toujours en quantités limitées dont nous disposons, ces projets ne répondent pas à des besoins suffisamment urgents. Si l'on n'a pas soi-même du capital à investir et que personne ne veut nous en prêter parce que les projets qu'on souhaite développer ne sont pas véritablement rentables, on ne peut effectivement rien faire. Mais si le capital tombe du ciel (ou de Québec), alors là tout devient possible. Un capital qui ne pourra évidemment servir à d'autres investissements plus urgents.
Voici ce que je concluais dans un éditorial sur le même sujet il y a dix ans (voir Économie sociale ou gaspillage socialiste?):
Les entreprises d'économie sociale ne produisent en fait rien qui soit très en demande, en tout cas pas suffisamment pour que les consommateurs soient prêts à en payer le coût véritable sur le marché, ce qui nécessite qu'on les subventionne pour qu'elles survivent. Si elles peuvent accorder la «primauté des personnes et du travail sur le capital», c'est donc pour une raison bien simple: elles n'ont pas à prouver quoi que ce soit sur le marché financier pour obtenir du capital, c'est le gouvernement qui le siphonne de l'économie privée pour leur remettre sans aucune préoccupation de rendement. (...)
La conclusion est facile à tirer. Les soi-disant entreprises de l'économie sociale ne sont en fait que des organismes communautaires patentés qui visent à offrir des emplois subventionnés, artificiels et temporaires à quelques décrocheurs et chômeurs, et à entretenir des parasites professionnels comme Nancy Neantam et les faux gestionnaires qui administrent ces fausses entreprises. Ces machins n'ont aucune véritable utilité économique ni sociale, et en gaspillant des fonds publics qui auraient été mieux investis ailleurs, détruisent du capital nécessaire à notre développement économique. L'économie sociale, comme toutes les autres pratiques interventionnistes de ce gouvernement, ce n'est en bout de ligne que du gaspillage socialiste.
Rien n'a changé depuis, sauf peut-être le fait que grâce au capital que nous lui fournissons, Mme Neantam fait maintenant partie du jet-set bureaucratique planétaire. Elle qui a débuté sa carrière il y a trente ans dans le quartier pauvre de Pointe-St-Charles a gravi les échelons sociaux et se fait maintenant inviter
à diverses activités internationales pour parler du Chantier, notamment une invitation de l'ONU, à Genève, il y a plus d'un an pour faire part de son expérience en tant que «praticienne» de l'écononomie sociale, en présence de représentants de la Banque mondiale. D'autres organisations universitaires et internationales, notamment l'OCDE, l'Organisation internationale du travail, etc., s'intéressent à son expertise «très pragmatique». Elle prédit la tenue «d'un grand événement international à Montréal l'an prochain».
Un grand événement international où tous ses tinamis de la planète viendront s'auto-congratuler et qui sera payé par... hmm, laissez-moi deviner, de l'argent solidaire en provenance des poches des contribuables peut-être? C'est-y pas beau les retombées économiques de la solidarité!
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