« Quand je fais une euthanasie, je n'ai pas l'impression que je fais le mal. Je n'ai pas non plus l'impression que je fais le bien. L'euthanasie, c'est un moindre mal. »
-Dr Luc Sauveur, médecin au centre hospitalier de Namur, Belgique
Quelques jours avant de mettre un terme à la dernière session parlementaire, le gouvernement Marois a annoncé son projet de loi sur les soins de fin de vie visant à encadrer l'aide médicale à mourir. Somme toute, la réaction politico-médiatique aura été positive. Nul doute, les plus grands perdants dans cette histoire sont les opposants, dont les arguments n'auront manifestement pas eu l'effet escompté. S'agit-il d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle? Ça dépend de quel côté du débat on se place...
Opposition
Le 18 mai dernier, à l'invitation du Rassemblement québécois contre l'euthanasie (RQCE), environ 400 personnes (des citoyens, des juristes et des membres du Collectif de médecins du refus médical de l'euthanasie) ont manifesté contre l'intention de Québec de permettre que des professionnels de la santé puissent aider des patients à mourir.
La mobilisation contre l'euthanasie a pris forme lorsque le gouvernement québécois a fait connaître son intention d'ouvrir la voie à l'aide médicale à mourir, dans des circonstances et des conditions balisées. Cette décision fait suite aux recommandations de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, dont le rapport a été déposé en mars 2012.
Selon le Dr Claude Morin, président du RQCE, il s'agirait d'un « changement de société dangereux »: « Si l'euthanasie passe au Québec, les personnes les plus vulnérables de la société vont être en danger, parce que les cadres législatifs, les cadres de tout ce que vous voulez, ne fonctionnent pas. En Hollande, en Belgique, ça ne fonctionne pas. C'est de la foutaise. C'est de la pensée magique », s'est-il exclamé.
En entrevue à la télé, un autre des porte-parole du RQCE, le Dr Marc Bergeron, a dit aussi craindre qu'on ouvre la porte à des dérives si le gouvernement Marois va de l'avant avec un projet de loi dans ce sens.
Lors de la manifestation en question, on pouvait lire sur une affiche: « Please don't kill my Grandma »! Une manifestante a dit avoir peur de voir les médecins « en charge de commettre des meurtres ». Un autre a affirmé que l'ouverture au suicide assisté « nous met tous en péril ». Le Dr Marc Beauchamp, chirurgien-orthopédiste, a dit croire pour sa part que « le suicide assisté va assurément mener à la mort des gens vulnérables. Assurément. Ce n'est même pas une question, c'est une évidence. »
Alarmistes et irrationnels
On le voit, ce débat est hautement émotif. Les opposants ont recours à des arguments alarmistes et irrationnels. Les médecins, de leur côté, répètent qu'il s'agit d'une négation de leur vocation première, qui est de venir en aide aux patients, et qu'on possède maintenant des outils extrêmement efficaces pour réduire et contrôler la souffrance en fin de vie.
Et quand les médicaments ne suffisent plus à soulager cette souffrance, ils endorment le patient temporairement à l'aide de la sédation palliative ‒ ce que plusieurs croient être une aide à mourir, alors que ce n'en est pas une. (Cette méthode consiste à administrer des médicaments qui causent un sommeil pour enlever la douleur. La maladie prend quelquefois le dessus et entraîne la mort du patient, mais ce n'est pas l'intention première. Et le problème avec la sédation palliative, c'est qu'il faut se retrouver sur un lit d'hôpital, à l'article de la mort, avant d'y avoir droit. Pas pratique lorsqu'on est atteint d'une maladie dégénérative et qu'on ne veut pas se rendre jusqu'à ce stade...)
La solution du Collectif de médecins du refus médical de l'euthanasie? Laisser les choses telles qu'elles sont et investir massivement dans l'accès aux soins palliatifs. Ah!, l'investissement massif de fonds publics... voilà toujours la solution des étatistes à tous les maux. Pourtant, année après année, l'État investit plus de fonds dans le régime de santé et les files d'attente sont toujours aussi longues. Et le nombre de personnes qui se tournent vers le privé pour avoir des services plus rapidement est toujours plus grand.
Heureusement, le gouvernement Marois n'a pas écouté tout ce beau monde et a annoncé qu'il ira de l'avant. Le 12 juin dernier, la ministre responsable du dossier Mourir dans la dignité, Véronique Hivon, a déposé son projet de loi sur les soins de fin de vie afin d'encadrer l'aide médicale à mourir (expression qu'on a préférée au terme « euthanasie »).
Les critères d'admissibilité de l'aide médicale à mourir sont claires. La personne doit être majeure, apte à consentir aux soins; assurée au sens de la loi sur l'assurance-maladie (résidents du Québec); atteinte d'une maladie grave incurable; être dans un état de déclin avancé et irréversible; éprouver d'importantes souffrances physiques ou psychiques en raison de son état.
Les médecins pourront refuser de donner la mort en raison de leurs convictions personnelles, mais les établissements devront alors trouver un praticien pouvant consentir au souhait du patient. Tout cas devra être évalué par deux médecins.
Prochaine étape? Une commission parlementaire invitera les groupes et les individus qui souhaiteraient se prononcer sur le projet de loi, cet automne, avant que ce dernier ne soit adopté.
Vivre et laisser vivre
Et voilà. La terre n'a pas cessé de tourner.
Les personnes qui sont contre l'euthanasie pourront toujours ne pas la réclamer pour elles-mêmes ou pour leurs proches! Le fait qu'une personne y ait recours ne leur enlève rien! Et les médecins ne vont pas courir après elles pour les « tuer »! Ni ne vont-ils « tuer » des gens vulnérables sans leur consentement! Et des gens ne pourront réclamer la mort d'un de leurs proches pour quelque raison que ce soit.
Les opposants répètent qu'on n'a pas besoin d'une loi, on a accès à des outils extrêmement efficaces pour réduire et contrôler la souffrance en fin de vie. C'est bien beau, mais si une personne, en toute conscience et après avoir pesé le pour et le contre, décide qu'elle ne veut pas vivre sans souffrance, parfois dans un état qui s'apparente à celui d'une pomme de laitue durant des mois, n'est-ce pas son droit le plus fondamental?
Ils nous disent justement que ces outils peuvent nous aider à vivre quelques mois de plus. Oui, et si on ne tient pas à ces quelques mois supplémentaires durant lesquels on ne reconnaîtra plus nos proches ou bien, confiné dans un lit ou un fauteuil roulant, on ne pourra plus se mouvoir sans l'aide constante d'une proposée? Et si on ne veut pas passer quelques mois de plus bourré de médicaments, dans un état semi-comateux? Est-ce vraiment nécessaire de toujours prolonger la vie parce qu'on le peut?!
Le Dr Pierre Gagnon, membre du Collectif de médecins du refus médical de l'euthanasie et psychiatre spécialisé en psycho-oncologie, en médecine psychosomatique et en géronto-psychiatrie, se demande pourquoi on met tant d'énergie sur une loi qui nous donnerait le droit de mourir, alors qu'on n'en met pas suffisamment dans l'offre de soins palliatifs: « Ce n'est pas ce qu'on veut comme société », conclut-il.
Peut-être que ce n'est pas « ce qu'on veut comme société », mais individuellement, c'est ce que plusieurs réclament. En fait, lorsqu'on demande aux Québécois s'ils sont favorables à ce qu'un projet de loi légalisant l'euthanasie soit adopté, 83% d'entre eux répondent par l'affirmative. Seulement 34% le souhaiterait pour eux-mêmes ou pour un membre de leur famille ‒ ce qui est compréhensible, personne ne veut avoir à en venir à ça.
Des dérives
Ceux-là mêmes qui parlaient de possibles dérives, « si l'euthanasie passe », voudraient qu'on laisse les choses telles qu'elles sont. Une situation qui a pourtant vu son lot de dérives alors que des personnes comme la Canadienne Sue Rodriguez ou la Française Chantal Sébire ont été obligées de mettre fin à leurs jours dans l'illégalité. D'autres, comme la Québécoise Manon Brunelle ou, plus récemment, Susan Griffiths, une femme de Winnipeg atteinte d'une maladie dégénérative incurable, ont dû se rendre à l'étranger pour recevoir les traitements qu'on leur refuse ici.
Dans la situation actuelle, des personnes en perte d'autonomie avancée ne reçoivent pas les soins qu'elles souhaiteraient recevoir, faute de fonds et de ressources, alors que d'autres sont victimes d'abus de la part de travailleuses de la santé débordées ‒ comme cette vieille dame d'Ontario atteinte d'Alzheimer qui faisait la manchette en mai dernier.
Combien d'autres personnes auraient été obligées de s'exiler pour mettre fin à leurs jours, faute de solutions de rechange ici? Combien de personnes auraient souffert en silence dans des centres d'hébergement et de soins de longue durée? Combien se seraient enlevé la vie elles-mêmes?
C'est tout de même paradoxal que des médecins refusent d'accompagner des personnes (ayant toute leur tête) qui demandent à ce qu'on les aide à mettre fin à leurs jours, alors qu'on aide, bon an mal an, des dizaines de milliers de femmes à mettre fin aux jours de leurs foetus ‒ et ce, malgré le fait qu'elles ont accès à plusieurs méthodes contraceptives toutes plus accessibles et efficaces les unes que les autres. Allez savoir...
Le corps nationalisé
Bien sûr, tout ce débat n'aurait pas lieu si l'État n'avait pas la mainmise sur le domaine de la santé. On ne se tape pas un débat national à toutes les fois qu'une entreprise offre un nouveau produit ou un nouveau service qui ne plaît pas à l'ensemble de la population! Ceux qui n'approuvent pas, ne consomment pas. Un point, c'est tout. Et ils sont même libres de tenter de convaincre leurs proches de faire comme eux.
Ce débat n'aurait pas lieu non plus si notre corps nous appartenait encore. Car si l'État nous refuse le droit de disposer de notre corps comme on l'entend, c'est que ce corps lui appartient. Comme l'écrivait Martin Masse dans les pages du QL, la nationalisation de nos corps est le résultat direct de la nationalisation des services de santé. Pourtant, écrit-il:
Sauf dans le cas de l'avortement, aucune de ces actions [la consommation de drogue ou de tabac, celle d'aliments perçus comme néfastes pour la santé, le recours à la prostitution, au suicide assisté, ou encore le refus de porter la ceinture de sécurité ou le casque à bicyclette] ne crée de « victime » autre que la personne qui décide de se faire quelque chose à elle-même. Dans tous les cas pourtant, l'État intervient, et intervient dans certains cas de plus en plus, présumément pour protéger le « bien-être de la population ».
Qu'en serait-il dans un monde vraiment libre? Comme l'écrivait aussi Michaël Marrache dans les pages du QL:
Dans la société libertarienne, l'euthanasie serait permise au nom du principe de propriété [...]. On peut imaginer des individus favorables ou hostiles à l'euthanasie mais, dans les deux cas, l'éthique de chacun est respectée. [...] Dans une société libertarienne, [...] qu'on soit pour ou contre l'euthanasie, capable ou non d'exprimer sa volonté, celle-ci sera respectée. Le cadre juridique fera en sorte que c'est nous, et non les hommes de l'État, qui décidons quoi faire de notre corps.
Le
problème avec les services publics, c'est qu'ils
s'adressent à tout le monde de la même façon ‒ alors que nous
n'avons pas tous les mêmes désirs. Dans le cas qui nous occupe, certaines
personnes vont vouloir vivre le plus longtemps possible (elles veulent
voir leurs petits-enfants grandir, elles veulent achever une oeuvre,
etc.), alors que d'autres vont souhaiter « partir » avant de perdre tout
semblant de qualité de vie.
Bien sûr, le projet de loi du gouvernement Marois ne règlera pas tout ‒
il se trouvera sans doute des personnes qui se verront refuser l'aide à
mourir parce qu'elles ne répondent pas à tel ou tel critère ‒, mais
c'est un pas dans la bonne direction, pour employer la formule
consacrée. Une chose est sûre par contre, tout le débat entourant son
adoption nous aura démontré une fois de plus que nous ne pouvons faire
ce que nous voulons avec notre propre corps.
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.