par Gérard Minart
Déjà auteur d'une biographie de Jean-Baptiste Say parue en 2005 aux éditions de l'Institut Charles Coquelin, Gérard Minart publiait le mois dernier un ouvrage qui vise à mettre en relief, à travers l'oeuvre de Jean-Baptiste Say, les racines historiques françaises de la notion d'entrepreneur au sens contemporain du terme(1).
En effet la France, qui a la fâcheuse réputation de ne pas aimer ses entreprises – et encore moins ses entrepreneurs –, est pourtant le pays qui a donné naissance à l'économiste classique qui a le mieux analysé le rôle du chef d'entreprise sur la grande scène de la production des richesses.
Dès 1803, c'est-à-dire à l'aube de la révolution industrielle, dans son Traité d'économie politique, puis, plus tard, dans son Cours complet d'économie politique pratique, Jean-Baptiste Say a dressé un portrait toujours d'actualité de cet acteur économique central qu'il nomme « entrepreneur d'industrie » dont la mission est d'imaginer des produits utiles, de combiner des facteurs de production, d'offrir de l'emploi, de distribuer des revenus, de susciter des innovations, de courir des risques, de gérer de l'incertitude...
Jean-Baptiste Say connaissait d'expérience ce dont il écrivait. Il avait été lui-même trois fois patron. D'abord d'une revue, La Décade, qui voulait prolonger la philosophie des Lumières et l'esprit de l'Encyclopédie dans tous les domaines du savoir. Ensuite d'une imprimerie, l'Imprimerie des Sciences et des Arts, qui avait publié des oeuvres de Benjamin Franklin et de Chamfort. Enfin et surtout d'une filature de coton qu'il avait créée et dirigée pendant huit ans dans le Pas-de-Calais pour se soustraire au despotisme de Napoléon et qui avait compté jusqu'à quatre cents ouvriers.
Jean-Baptiste Say présente donc ce caractère quasi unique d'être à la fois et au même degré un théoricien de l'économie politique, un praticien de l'entreprise et, enfin, un professeur de l'esprit d'entreprise dans la partie finale de son existence qui fut vouée à l'enseignement.
Situation qui lui a valu ce jugement de Schumpeter:
« Durant une très grande partie de sa vie ce fut un homme d'affaires, un homme de pratique, et il connut ainsi l'avantage de savoir de première main ce dont il écrivait. Les intellectuels qui ne connaissent les affaires que par les journaux ont l'habitude de se féliciter eux-mêmes de leur détachement. Mais, à l'évidence, la médaille a son revers. »
Les considérations que Say a tirées de ses fonctions d'entrepreneur sont riches de vues originales toujours pertinentes, et cela non seulement sur la place, les qualités et les responsabilités du chef d'entreprise mais aussi sur l'environnement, on dirait aujourd'hui « l'écosystème », qui doit accompagner l'entreprise pour qu'elle participe avec efficacité au développement économique.
Ainsi Jean-Baptiste Say entendait-il libérer son entrepreneur de l'emprise de l'État, le dégager des entraves de la réglementation, le soulager du poids des bureaucraties, le préserver de la grêle des impôts.
Toutes considérations, on en conviendra, qui restent encore aujourd'hui d'une actualité permanente.
Nous publions ici, avec l'aimable permission de l'auteur, des extraits du chapitre 10.
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