par Vincent Geloso
Rien n'est plus insipide comme concept que celui des mythes nationaux. S'il est vrai que les gens croient à ces mythes et qu'ils se perpétuent, il faut réaliser qu’ils sont plus souvent qu'autrement conçus par de personnes politiquement motivées avec peu de fondations factuelles. Le meilleur exemple de cette réalité, c'est celui du cliché que « les Québécois sont nés pour un petit pain ». Selon les dires de certains, cette mentalité était un stigmate d'un peuple vaincu (en 1760) et qui illustre son asservissement. Un tracé de l'origine et de la validité de ce concept nous invite à toujours être sceptiques par rapport aux polémistes qui utilisent l'histoire à leurs fins.
Une idée née de commentateurs britanniques
Lorsque la Nouvelle-France passe aux mains des Britanniques en 1760, les historiens soulignent souvent que la colonie est « retardée » économiquement et que ses habitants font preuve d’une mentalité paysanne. L'historien Maurice Séguin parlera même d'un « esprit paysan » pour définir une prédisposition psychique chez les Canadiens français à ne pas répondre aux changements dans l'environnement économique. Et c'est sur ce mythe, celui du contentement culturel, que se base l'idée que les Québécois sont nés pour un petit pain.
Des accusations similaires de « mentalités paysannes » ont été formulées non seulement à l'égard des coupables habituels que sont les paysans russes, espagnols, français et italiens, mais aussi à l'égard des paysans « anglo-saxons » d'Angleterre, de Suède, d'Allemagne, du Danemark et de Nouvelle-Angleterre. Déjà, on devrait douter de la validité scientifique d'un tel concept.
Plus souvent qu'autrement, ces accusations ont reposé sur des évaluations qualitatives de certains observateurs contemporains. Au Québec, on cite souvent le voyageur Thomas Lambert du début du 19e siècle qui ne manquait pas d'insultes à lancer à l'égard des habitants du pays(1). Le problème de ces évaluations qualitatives, desquelles le mythe du « né pour un petit pain » a émergé, c'est qu'elles sont bien sélectives. Rares sont les mentions dans nos livres d'histoire des propos du général Amherst qui décrivait les agriculteurs Québécois comme étant de « bons cultivateurs » qui plantaient du « lin, blé, orge, pois (...) sur des terres bien clôturées »(2). On omet aussi l'observation de commentateurs de l'époque qui remarquaient que le blé canadien était souvent de « meilleure qualité » que celui normalement disponible en Grande-Bretagne qui était notre principal importateur de céréales(3). On omet aussi de parler de John Palmer qui, en 1817, parlait de la qualité des fermes au Bas-Canada et vantait les bienfaits de l'émigration vers cette colonie britannique(4).
Il faut rappeler au lecteur que plus souvent qu'autrement, les observateurs britanniques et américains de l'époque avaient un biais hostile à l'égard du catholicisme et le « papisme » évoquait d'importantes craintes au sein de la classe politique britannique. Même Alexis de Tocqueville, qui émettait ses observations après avoir visité les États-Unis qui vivaient à ce moment une croissance économique rapide(5), parlait du Bas-Canada comme d'une société prospère(6).
Or, plusieurs ont ignoré ces observations et ont décidé de se concentrer sur le fait que les Canadiens français étaient « prédisposés » à arborer une mentalité « préindustrielle ». Le mythe s'est entretenu de lui-même puisque les travaux d'historiens et sociologues comme Richard Jones, Donald Creighton, Fernand Ouellet, Esdras Minville, Hubert Guindon, Guy Rocher et Maurice Séguin se sont appuyés sur les mêmes accusations.