[L]a lecture d'un quotidien ou l'écoute d'un journal télévisé se résume à peu de choses près, jour après jour, à la même sempiternelle recension des doléances et revendications des uns et des autres (…). Suivre l'actualité, c'est suivre pas à pas la crise de l'industrie porcine qui fait face à une chute des prix, celle des urgences bondées dans les hôpitaux, celle des pêcheurs au chômage, celle des acériculteurs sinistrés, celle des travailleurs de l'auto qui ne veulent pas de compétition, celle des nationalistes dont « l'âme collective » fout le camp, etc.
Les causes profondes de cet état de crise permanent n’étaient toutefois jamais correctement diagnostiquées. Les journalistes et commentateurs faisaient preuve d’une incompréhension fondamentale de la logique économique qui leur aurait permis de le faire.
Crise de l’État
Un gros État interventionniste génère des crises de deux façons.
D’abord, tous les secteurs qu’il contrôle tels que la santé et l’éducation sont constamment en crise. La planification bureaucratique ne permet pas d’ajuster la production avec la demande des consommateurs. Les signaux et mécanismes de marché – prix, profits et pertes, possibilité d’embaucher les employés les plus productifs et de les rémunérer de manière compétitive, innovation constante pour ne pas se laisser distancer par la concurrence, etc. –, qui permettent aux gestionnaires de savoir s’ils répondent adéquatement à cette demande, sont tout simplement absents.
De leur côté, les « consommateurs », c’est-à-dire les contribuables forcés de payer pour ces services publics et à qui on interdit d’en obtenir ailleurs, n’ont aucune raison de les consommer de façon responsable. Ils n’ont également aucune façon de manifester leur mécontentement, à l’exception d’un vote tous les quatre ans qui ne change rien à la situation. L’école des Choix publics a bien expliqué pourquoi le simple citoyen, qui est confronté à des difficultés d’organisation quasi insurmontable, n’a pratiquement aucune chance d’exercer un contrepoids face aux syndicats, corporations professionnelles, et autres lobbies qui ont l’oreille des gouvernements.
L’interventionnisme étatique entretient également les crises dans le secteur privé. Tous les secteurs économiques subissent constamment des hausses ou baisses de prix, des changements technologiques, une évolution des conditions du marché. Dans la très grande majorité des cas, ces transformations ne provoquent que des frictions localisées. Mais il suffit que des pertes d’emplois par exemple soient concentrées dans un secteur jugé « stratégique » ou une région électoralement importante pour que le gouvernement intervienne et retarde ainsi les ajustements nécessaires. La crise devient alors « nationale » et fait les manchettes, alors qu’en réalité elle ne concerne qu’une fraction minuscule de la population.
Quinze ans plus tard, les urgences et l’industrie porcine sont encore en crise. Les garderies publiques, la chanson et le cinéma subventionnés, l’agriculture protégée et cartellisée, sont en crise. L’éducation supérieure est en crise. Le gouvernement va d’ailleurs tenir un « sommet » sur le sujet dans les prochaines semaines avec les « partenaires » habituels, selon le modèle corporatiste bien établi au Québec depuis des décennies, auquel je consacrais mon éditorial du No 1 du QL le 7 mars 1998.
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