par Stéphane Couvreur*
Après L'arbitraire fiscal, paru en 1985, Pascal Salin publie La tyrannie fiscale, un nouveau livre qui actualise et développe sa réflexion sur la fiscalité. L'ouvrage arrive à point nommé, en plein débat sur une possible « révolution fiscale », après l'épisode des « pigeons » et celui des « bonnets rouges ». Le titre rappelle d'ailleurs cette actualité, en suggérant qu'en moins de trois décennies nous serions passés de l'« arbitraire » à la « tyrannie ». Mais l'ambition de Salin n'est pas d'alimenter la polémique mais, au contraire, de prendre du recul, de rappeler les principes, de fournir à son lecteur les clés indispensables pour aborder le sujet en raison.
C'est ce qui le distingue d'autres parutions. Il ne s'agit pas d'un recueil de statistiques sur la répartition, le poids ou l'évolution de l'impôt ou l'évasion fiscale. Il ne s'agit pas d'une histoire de l'impôt, que ce soit pour le glorifier ou pour l'enterrer. De tels ouvrages existent mais il leur manque généralement une vision d'ensemble. Salin propose ici une introduction à l'économie politique de l'impôt, une réflexion sur l'éthique et la philosophie politique de la fiscalité.
« Il manque au système fiscal français une compréhension des concepts économiques et la volonté de fonder ce système sur une construction théorique valide… Le débat sur la fiscalité se focalise sur des détails plus ou moins techniques, sans principes et sans vision d'ensemble. »
Comment s'apprécie le poids de l'impôt? « La part des prélèvements obligatoires dans le PIB est passée de 30% en 1960 à plus de 46% en 2013. La France est l'un des pays du monde où ce taux est le plus élevé, mais ce taux ne peut constituer un critère unique de référence… En particulier, la fiscalité et la réglementation sont des moyens parfaitement substituables… De plus, l'impôt ne doit pas s'apprécier seulement du point de vue de son pourcentage global dans le revenu national, mais surtout du point de vue de son poids marginal. »
Qui paie quoi? La réponse est étonnante: « L'impôt ne frappe pas ceux que l'on croit. On n'a que très rarement – si ce n'est jamais – les moyens de savoir exactement qui supporte ou paie effectivement le poids de tel ou tel impôt dans un système fiscal donné. C'est pourquoi personne ne peut dire, par exemple, comment le poids de l'État est réparti entre les contribuables français. Il n'est donc pas possible de mesurer l'effet redistributif de la fiscalité et les gouvernants ont probablement intérêt à ce qu'on ne puisse pas le faire. »
« Prélever des impôts sur les entreprises, c'est-à-dire sur des contribuables qui n'ont pas le droit de vote, n'est-ce pas l'idéal? » Mais une présentation pédagogique de l'incidence fiscale permet de comprendre pourquoi « l'impôt n'est certainement pas payé par l'entreprise, » quoi qu'en disent certains!
Après s'être demandé qui paie, Salin se pose la question de ce qui est taxé exactement: est-ce le travail, le capital, la consommation, l'échange? Cette question est trop rarement abordée, ce qui conduit parfois à des débats stériles sur l'assiette de l'impôt. Or, « un économiste sait bien qu'il y a équivalence entre revenu et capital, » c'est pourquoi « restent alors deux possibilités: imposer la détention des biens ou leur consommation. »
Il est facile de « comprendre pourquoi l'impôt sur le capital existe. En effet, il est plus facile de s'emparer du capital matériel que du capital humain, et c'est pourquoi on s'en empare effectivement. »
« Pour un contribuable, le bonheur consiste alors à posséder un capital humain, non soumis à l'impôt sur le capital, et à l'utiliser pour sa propre satisfaction, sans passer par le marché, de manière à éviter de faire apparaître des revenus monétaires. L'imprudence consiste à travailler, à se priver pour accumuler des richesses qu'on met à la disposition d'autrui. L'idéal pour le fisc consiste au contraire à trouver un capital facile à mesurer et un revenu qui le soit également. »
Puis on se demande qui prélève l'impôt. Outre la distinction entre impôts directs et indirects, Salin rappelle que, bien souvent, « les hommes de l'État se servent de l'entreprise comme d'un collecteur d'impôts. »