par Gabriel Lacoste
Je travaille à venir en aide aux pauvres et je me définis comme libertarien. Selon moi, le pouvoir politique et ses institutions sont toxiques et ils doivent être remplacés par des marchés économiques. Apprenant mes opinions, nombreux sont ceux qui me demandent « mais comment se fait-il que tu oeuvres dans les services sociaux? » Ils supposent que contester la légitimité de l'État revient à contester l'aide aux pauvres. Selon eux, les taxes et les impôts sont une manière de prendre aux riches pour donner aux pauvres. L'État serait Robin des Bois. Or, je crois plutôt qu'il est le Grand Méchant Loup déguisé en Mère Grand. Dans notre monde, le vol, la contrainte et la tromperie des mouvements politiques passent pour de l'entraide, alors que l'entraide réelle passe pour de la cupidité. Je tenterai, dans ce qui suit, de vous résumer brièvement mes raisons de le croire.
L'entraide comme centre de légitimité populaire
L'État n'a pas toujours été le pourvoyeur de services sociaux. Avant lui, les institutions religieuses s'en chargeaient. Cela n'est peut-être pas une coïncidence. Pour fonctionner, une institution doit être socialement perçue comme étant légitime. De la Révolution française au développement de l'État Robin des Bois, un phénomène culturel de déplacement de la source de la légitimité s'est produit. Les représentants de la volonté divine (les prêtres) ont graduellement perdu ce rôle au profit des représentants de la volonté du peuple (les politiciens).
Or, pour gagner le coeur des individus et donc leur consentement, une institution doit prendre en charge le sort des plus démunis. C'est pourquoi nous pouvons observer dans l'histoire un déplacement du contrôle de l'entraide des églises vers les assemblées élues. De ce point de vue, ce n'est pas le pouvoir politique qui permet l'entraide, mais l'entraide qui légitime le pouvoir politique. Si cette théorie causale est vraie, alors le déplacement de l'entraide du politique vers des institutions privées, se finançant à même des dons, ne détruira pas l'entraide, mais retirera la légitimé des mains des représentants de la volonté du peuple (les politiciens) pour la remettre entre celles des représentants de la volonté des individus en situation d'échange (les entrepreneurs et les investisseurs).
Dans notre culture, l'État est la source de la légitimité car les gens se l'approprient et s'identifient à ses actions. Le peuple serait censé le contrôler en votant, en s'exprimant en public et en exerçant des moyens de pression. Cette logique est trompeuse.
Supposons qu'un regroupement d'hommes d'affaires se présentait à vous et vous offrait une assurance contre toutes formes de misère et d'injustice en vous demandant en échange un accès illimité à votre compte de banque et un droit de vous interdire les comportements qu'il souhaite, comment réagiriez-vous? Je soupçonne que vous auriez une méfiance extrême. S'il vous proposait alors de voter avec ses autres clients à tous les quatre ans pour le responsable du programme, vous sentiriez-vous rassuré? Je ne crois pas. Pourtant, c'est ce que l'État fait.
Le simple fait de dire « représentant du peuple » au lieu de « homme d'affaires » agit sur votre esprit comme une forme d'hypnose éteignant votre méfiance en un clin d'oeil. Pourtant, dans les faits, vous avez plus de contrôle sur des hommes d'affaires que sur des « représentants du peuple », car les premiers n'ont pas le pouvoir de vous empêcher de magasiner d'autres offres, ils doivent vous présenter une facture, ils sont liés par un contrat et ils ne vous forcent pas à former une majorité pour avoir un impact. Objectivement, acheter exprime plus clairement la volonté du peuple que voter.
En ce sens, si vous achetiez une assistance aux démunis au lieu de voter pour des programmes d'aide aux démunis, vous auriez plus de contrôle sur qui recevrait cette aide et qui aurait les fonds pour la donner. Vous pourriez sélectionner les services sociaux que vous jugez être les plus efficace pour alléger la misère humaine et pénaliser ceux qui ne le sont pas. En ce sens, les institutions d'entraide seraient davantage contraintes à s'adapter à votre idée de la générosité.
« Mais les gens ne donneraient pas, car ils sont égoïstes! », nous répliquera-t-on. Cette croyance peut être réfutée en deux arguments très simples.
Premièrement, si les gens étaient si égoïstes, ils ne voteraient pas pour des représentants qui les forcent à donner aux pauvres. Le fait que vous soyez disposés à donner un accès à votre salaire et à vos achats à des gens de peur que les pauvres manquent d'aide prouve que vous avez un fond généreux. En ce sens, si c'était un regroupement d'entrepreneurs en services sociaux qui vous proposait d'acheter de l'aide au lieu d'un regroupement de représentants politiques qui vous proposait de voter pour de l'aide, il est fort probable que vous le feriez autant.
Deuxièmement, l'action politique est également égoïste. Si les gens sont égoïstes au moment de piger dans leur portefeuille, ils le sont aussi au moment de voter l'allocation des ressources d'un pot collectif. Dans la joute politique, les groupes cherchent à tirer la couverture de leur côté et tendent donc à détourner votre générosité en leur faveur en employant des stratégies rhétoriques trompeuses. Passez du niveau de la spontanéité économique à la spontanéité politique ne génère donc pas une générosité supplémentaire. Cette supposition est tout simplement arbitraire.
Donc, un marché riche, efficace et prospère de l'entraide qui repose essentiellement sur le consentement des individus est possible et souhaitable (Voir « Pour un capitalisme de l'entraide », le QL, no 315).