par Gabriel Lacoste
Si le Québec était un individu, la période précédant 1960 correspondrait à son enfance. Depuis ce temps-là, il en est à l'adolescence. Ce qui s'en vient, c'est l'âge adulte.
Les clichés traditionnels sur le peuple canadien-français d'antan correspondent bien à l'enfance. Ce peuple était censé se voir comme « petit » et obéissant aux « grands » que représentaient la chrétienté sous l'égide du pape, Sa Majesté la reine et l'industrie américaine sous la supervision de Dieu le Père. Il était composé de travailleurs soumis à leur patron et de femmes, un peu nunuches, aux ordres de leurs maris. Pendant que les Anglais avaient leurs représentants dans la grande table des adultes que constitue le monde, nous devions manger à part avec de vulgaires provinces canadiennes.
Étant d'un naturel sceptique, je soupçonne que ces représentations ont été construites après coup pour justifier des causes politiques. Dénigrer nos ancêtres est un vieux truc que les amis du présent pouvoir emploient pour légitimer l'emprise qu'ils ont sur les postes de police, les tribunaux, les écoles, les garderies, les hôpitaux, la charité, les routes et notre portefeuille. Cependant, faisons comme si les choses s'étaient passées ainsi et poursuivons. Si les Canadiens français étaient des enfants, les nationalistes et étatistes québécois depuis la Révolution tranquille sont des adolescents. La comparaison vous apparaîtra peut-être insultante, mais elle est aussi porteuse d'espoir, car elle signifie que nous pouvons tendre vers mieux.
Un adolescent se rebelle contre les grands en se racontant une fable dont il est le super-héros. Une fable, c'est un récit où les événements et les personnages prennent des dimensions grandioses. Refaire le monde, vaincre la pauvreté, combattre les injustices, créer un pays, garantir à tous la santé, bâtir une gigantesque entreprise énergétique, sauver la planète d'un holocauste climatique et dompter sa soif de consommation pour préserver le sous-sol d'un épuisement total sont de nobles causes dignes de n'importe quel esprit tapageur âgé de 15 ou 16 ans qui rêve de devenir un héros. Les proportions lui donnent un sentiment de puissance. L'industrie du conte, qui prend le nom prestigieux de médias, peut faire la piastre en le titillant un max à coup de grands titres menaçants et de potins jet set sur les sauveurs qui s'y attaquent. Tout un chacun choisit ses idoles, puis fantasme de faire comme lui.
Tout seul, ce n'est pas vraisemblable d'être aussi héroïque. Pour parvenir à se la raconter, il nous faut un concept et un instrument assez forts. L'État-nation est l'outil parfait. Comme au Centre Bell, en regardant le club de hockey des Canadiens de Montréal, la nation permet à l'individu de se projeter dans une entité plus grande en ayant l'illusion de lui donner vie. C'est magique. Si la nation, en plus, a le monopole de la police, des tanks, des tribunaux, de la taxation, des écoles et d'un vaste territoire « collectif », elle peut alors commander ce qu'elle veut, faire fi des obstacles et arrêter les méchants à souhait. Le Canadien français en phase rebelle contre les parents oppresseurs a donc trouvé un super-héros à sa mesure pour jouer dans la cour des grands. C'est ainsi qu'est né le peuple et l'État-providence québécois.
Les moulins à vent démocratiques
Cervantès a écrit, au début du 17e siècle, un roman dont le héros est Don Quichotte. Ce dernier avait passé trop de temps à lire des histoires de chevaliers et s'était mis en tête de défendre la veuve et l'orphelin. En réalité, il faisait un fou de lui en combattant des moulins à vent. La période adolescente du Québec, qui va de 1960 à aujourd'hui, me fait penser à cette histoire.
Le Québec ne sera pas de sitôt un pays. La peur climatique est une exagération éhontée nourrie par des groupes de chercheurs en quête de financement et de journaux qui vendent des sensations fortes. Les jeunes qui manifestent pour des droits de scolarité ne sont pas en train de donner leur temps ou leur argent à des vraies causes charitables. Ils cherchent à se faire payer leurs études avant d'entrer dans la classe moyenne ou à perdre à rabais des années de leur vie dans l'obtention de diplômes louches qui n'améliorent pas leur sort, mais celui de leurs profs. Les programmes sociaux aident beaucoup plus les employés qui les gèrent que les usagers eux-mêmes. La guerre à la pauvreté ressemble à celle des tranchés de 1914-1918: l'ennemi ne recule pas d'un pouce.
L'éducation publique est une farce. Elle produit souvent des bouts de papiers déconnectés du marché du travail et de la vraie vie, puis consiste à nous bourrer le crâne de représentations et de valeurs citoyennes qui se confondent curieusement avec une sorte de propagande nous exhortant d'appuyer religieusement l'État-providence et son rituel démocratique. Les universités ressemblent à un racket de charlatans. Les policiers perdent leur temps à chasser les automobilistes ou à emprisonner les drogués et les putes sans jamais nous offrir de résultat concret. Les juges ont l'air de protéger davantage les criminels que les innocents. Les hôpitaux masquent la pénurie de services par des listes d'attentes. Les routes s'effondrent. Etc.
Qui profite du gouvernement? Ceux qui y travaillent ou qui font partie de ses protégés. Ce ne sont pourtant pas des impotents et ils seraient capables de se débrouiller tout seul. Pour le reste des gens, les comptes de taxes, l'inflation et les tarifs de toutes sortes grimpent sans arrêt. Une dette publique pompe des investissements qui seraient plus utiles ailleurs et hypothèquent l'avenir de nos enfants. Serions-nous capables d'obtenir mieux avec cet argent sur des marchés où les entrepreneurs seraient libres d'entrer en compétition pour nous faire la meilleure offre? Vraisemblablement.
Il y a un décalage majeur entre la réalité du Québec et les représentations ambiantes que nos experts conteurs diffusent dans les médias et les salles de classe. Cela a un nom : l'idéologie. Comme Don Quichotte, nous croyons avoir mis sur pieds des institutions qui sauvent la veuve et l'orphelin, mais nous n'aboutissons qu'à dilapider l'héritage de nos grands-parents comme des adolescents irresponsables.
Lire la suite "L'agonie de l'État-nation québécois et la perspective de jours meilleurs" »