par Jean-Hugho Lapointe
Le représentant américain Ron Paul est admirable à bien des égards, mais, à mon sens, il l’est moins pour sa manière peu habile d’interroger ses témoins au Congrès. Il a la fâcheuse habitude de consacrer ses brefs droits d’intervention à de longues mises en situation au cours desquelles il aborde une panoplie d’idées qui démontrent sa connaissance des sujets économiques et monétaires mais qui le rendent difficile à suivre, et il conclut par une question ouverte que n’importe quel témoin minimalement habile peut utiliser à bon escient, notamment pour passer le reste du temps de parole du bon docteur.
Néanmoins, il arrive que certains échanges entre Ron Paul et Ben Bernanke produisent des résultats intéressants, notamment en 2008 lorsque Paul est parvenu à faire admettre au président de la Réserve fédérale que l’inflation est en fait un impôt.
Aujourd’hui, Bernanke comparaissait devant le Congrès dans le cadre de son témoignage semestriel sur l’état de l’économie. Ron Paul a encore une fois mal utilisé la majorité de son temps avec le témoin, sauf à la fin où, soudainement, il s’est découvert un talent d’interrogateur (questions courtes, fermées et précises, dans une suite logique). Les résultats sont spectaculaires.
Je traduis ici la fin de l’échange entre les deux protagonistes :
Paul : (…) le prix de l’or aujourd’hui a atteint 1580$. Le dollar, durant les trois dernières années, a été dévalué de presque 50%. Lorsque vous vous réveillez le matin, vous préoccupez-vous du prix de l’or?
Bernanke : Je porte attention au prix de l’or, mais je crois qu’il reflète plusieurs choses. Je crois qu’il reflète des incertitudes globales. Je crois que la raison pour laquelle les gens détiennent de l’or est pour se protéger contre ce que nous appelons le «tail risk», un dénouement vraiment, vraiment désastreux. Et dans la mesure où au cours des quelques dernières années, les gens étaient préoccupés par le potentiel d’une crise majeure, ils détenaient donc de l’or comme protection.
Paul : Croyez-vous que l’or constitue de la monnaie?
Bernanke : (hésitation) Non.
Paul : Ce n’est pas de la monnaie? Même si ce le fut pendant 6000 ans, quelqu’un aurait renversé, aurait éliminé cette loi économique?
Bernanke : Bien, vous savez, c’est un actif, je crois que c’est la même chose que des bons du Trésor, je ne crois pas qu’ils sont de la monnaie…
Paul : (interrompt) Pourquoi les banques centrales en détiennent-elles?
Bernanke : C’est une forme de réserve.
Paul : Pourquoi ne détiennent-elles pas des diamants?
Bernanke : (hésitation) Bien, c’est une tradition. Une tradition datant de loin.
Paul : (rire) Certaines personnes croient toujours que c’est de la monnaie. Je donne la parole, mon temps est écoulé.
En d’autres termes, en moins d’une minute au cours de cet échange, Paul est parvenu à pousser Bernanke dans une contradiction majeure qu’il aurait sans doute souhaité éviter. En effet, comme Paul le suggérait tout juste avant, l’or a toujours été utilisé comme monnaie et c’est justement là que réside la nature de la tradition concernant le métal jaune.
En somme, l’échange pourrait se résumer à ceci :
Q : L’or est-il de la monnaie?
A : Bien sûr que non. Ce n’est pas écrit «monnaie légale» sur de l’or. Sur mon dollar, oui.
Q : Alors pourquoi détenez-vous de l’or?
A : Hum, euh, question de tradition. Juste une vieille coutume. Car vous savez, l’or est traditionnellement considéré comme de la monnaie. Attendez, qu’ai-je dit déjà?!