Les freins
Il y a trois types de freins différents sur les trains aujourd'hui. Le premier type est un frein rhéostatique, qui utilise les moteurs électriques de propulsion comme génératrice et qui envoie l'énergie du mouvement (sous forme d'électricité) dans des radiateurs situés sur le toit de la locomotive. Ce système est le premier utilisé pour ralentir le train. Quand la vitesse a diminué suffisamment, un système de freinage à air prend le relais pour immobiliser le convoi. Enfin, un système de frein à main est aussi disponible pour achever d'immobiliser les wagons lorsque le train doit demeurer stationnaire quelques temps.
Or, le bon fonctionnement de celui-ci repose sur un certain nombre de variables, qui peuvent toutes affecter l'efficacité du freinage. Premièrement, le bon ajustement du frein, son graissage et son entretien sont essentiels. Ensuite, il faut savoir que les coefficients de friction à partir desquels le frein est calculé a une certaine variabilité, ce qui affecte dans les mêmes proportions la capacité de freinage. Enfin, la force avec laquelle un individu donné serre effectivement un frein peut varier considérablement d'une fois à l'autre (des expériences menées en ce sens démontrent un rapport de 3 entre les plus grandes et les plus petites forces appliquées, pour un couple de serrage donné). Seul un appareil de type « clé dynamométrique » peut donner une valeur assez exacte (1% près) dans tous les cas, mais pas le bras humain. Le freinage est donc un problème essentiellement statistique.
Comme d'autres facteurs tels la météo peuvent jouer un rôle, le nombre exact de freins à appliquer est laissé à l'appréciation du conducteur ‒ au-delà du minimum requis par les tables fournies par la compagnie. Ces tables donnent un nombre minimal de freins à appliquer selon le poids du convoi et l'inclinaison de la pente, d'où l'application de 15 freins lors de l'accident de Lac-Mégantic (le calcul est direct, une fois que vous assumez une force de freinage donnée sur chaque frein et que vous connaissez la force avec laquelle le train est tiré par son poids vers le bas de la pente, il suffit de faire une simple division).
Notons par contre que la compagnie américaine BNSF (Burlington Northern Sante Fe, propriété du milliardaire Warren Buffett), elle, aurait recommandé le double, ce qui effectivement réduit le risque mais ne l'annule pas totalement ‒ à cause de l'aspect statistique mentionné plus haut. Les compagnies comme les organismes de règlementation ne semblent pas vraiment savoir quoi faire pour éliminer ce flou artistique... Enfin, mentionnons que le Bureau de la sécurité des transports du Canada considère, sans expliquer pourquoi, que le test classique consistant à serrer les freins à main puis à essayer de tirer le convoi avec la locomotive n'est pas vraiment fiable (voir les conclusions du rapport).
Donc, après avoir coupé le moteur de la locomotive après l'incendie, les freins à air se sont progressivement vidés ‒ ce n'est pas parfaitement étanche ‒ et le train s'est mis en branle quelques minutes avant 1 heure du matin, parce que l'une ou l'autre des variables précédentes a joué contre le train.
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